Andrés Segovia n’a pu ni interpréter sur scène toutes les compositions qu’il recevait ni, a fortiori, les enregistrer. Et c’est là tout l’intérêt de ce disque : présenter certains de ces magnifiques morceaux écrits par des compositeurs tous plus géniaux les uns que les autres. L’articulation du programme est parfaite, alternant pièces aux tempi lents et rapides, et dominantes joyeuses ou mélancoliques. Avec la Canción lejana de Vicente Arregui, qui ouvre le récital, et dès les premières notes, on entre de plain-pied dans un univers musical riche de nuances et doté d’une grande sensibilité.
Ce disque de guitare peut de prime abord sembler "minimaliste". En effet, ici, nul orchestre ni effet appuyé ajouté artificiellement, mais une guitare solo… Mais quelle guitare ! L'écoute comblera tant l'amateur de l'instrument en général que celui de guitare classique en particulier. Musique aux sonorités hispaniques ou pages intimistes, l'auditeur reçoit beaucoup. Qui plus est, chaque nouvelle écoute permet de découvrir un détail qui nous avait échappé jusque-là. Chose remarquable, ce programme offre à celui qui se livrera à une écoute active, toute la palette de ce que la Musique peut proposer : recueillement, intensité, joie, solitude, tristesse, espoir ou obsession, pour citer quelques-unes des émotions exprimées par Roberto Moronn Pérez.
Les compositeurs sélectionnés permettent en outre d'entendre un programme à la fois soigné et équilibré : Basques et Catalans, tous nés dans la seconde moitié du XIXe siècle nous offrent une musique si proche de nous qu’elle nous semble avoir été écrite à la fin du XXe !
Le jeune interprète Roberto Moronn Pérez expose un jeu parfait. Ni note bâclée, ici, ni approximation ni artifice. Seulement de la musique, en toute simplicité et en toute beauté. Le guitariste-interprète sait donner vie aux partitions et rend parfaitement les contrastes comme les nuances. Utilisant ses doigts comme un peintre manie les couleurs, il distille un spectre sonore infini… Roberto Moronn Pérez joue tantôt avec l’ongle pour accentuer un côté métallique et donner de la nervosité à son jeu, tantôt avec la pulpe du doigt pour apporter de la douceur à son jeu. Parfois, il mélange les deux pour équilibrer le rendu du timbre.
À aucun moment ne ressort une quelconque difficulté liée à des contraintes techniques d’interprétation. Là réside tout l'art de l’interprète qui parvient à rendre ces morceaux naturels, accessibles et finalement si agréables à l’écoute, déconcertante de facilité. Cela est d’autant plus remarquable que le grand Andrés Ségovia avait la bonne idée de demander aux compositeurs de ne pas se préoccuper d'une quelconque "faisabilité technique". Il adaptait ensuite lui-même la musique aux contraintes techniques de l’instrument. Les tempi adoptés par Roberto Moronn Pérez sont constamment si réguliers que l’on en oublie par moments l’extraordinaire complexité que représente la guitare pour tout interprète. En effet, il faut se représenter les dix doigts de l'instrumentiste jouer, soit en simultané soit en décalé, pour donner vie aux accords et harmonies.

Interpréter ce programme exige une grande maturité artistique qui est ici d’autant plus remarquable au vu du relatif jeune âge de l’interprète. Et Roberto Moronn Pérez, au fil des plages, alterne virtuosité et compositions riches de thèmes originaux et variés tout en donnant à l’ensemble une grande cohérence. L'auditeur passe ainsi aisément d’un morceau à l’autre et d’un compositeur à l’autre, sans cassure dans le cheminement musical. Ce cheminement s'apparente en quelque sorte à une narration musicale contée en toute humilité, par un interprète devenu le lien entre les œuvres. Mais, finalement, qu’est-ce qu’un interprète si ce n’est celui qui capte la Musique pour nous la transmettre le plus fidèlement possible ? Sincérité, loyauté et profondeur sont les maîtres mots de toute interprétation hors du commun. Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici. Roberto Moronn Pérez nous livre une interprétation extraordinaire de ces morceaux offerts au grand Andrés Segovia.
Le son de la guitare est remarquable. L’instrument de Roberto Moronn Pérez est une guitare du très grand luthier Mariano Condé, connu dans le monde entier pour ses guitares classiques et de flamenco. Dans le milieu de la guitare flamenco, on parle même de "son Condé" ! Les guitares Condé sont à la fois faciles à jouer et fournissent un son si caractérisé que le Maestro Paco de Lucia n’a joué sur scène et n’a enregistré pendant des décennies que sur ces instruments uniques. Andrés Segovia Archive – Spanish Composers présente une approche idéale du son. Il est en effet si rare d’entendre une guitare aux sonorités si pures, qui nous enveloppent à ce point. Un son chaud qui fait presque sentir le bois de la guitare…
Compositions originales aux mélodies riches en couleurs, virtuosité de l’interprète au service des émotions, sont les deux facettes de cet enregistrement, pur joyau de musique conçu comme un hommage au grand Andrés Segovia. L’interprétation de Roberto Moronn Pérez atteint des sommets artistiques et rend les compositions si présentes, si vivantes, que nous souhaiterons belle et longue vie tant à la musique proposée ici à la découverte qu'à ce merveilleux disque !
À noter : Ce disque a été enregistré avec le procédé d'encodage-décodage de Microsoft HDCD. Un lecteur CD équipé de la puce nécessaire permettra un gain en résolution notable de l'écoute, ainsi qu'une meilleure spatialisation. Cet encodage garantit en outre la compatibilité du disque avec un lecteur CD non HDCD et l'absence de distorsion audible lors de la reproduction.
Jean-François Sanchez

































