Seul le percussionniste derrière ses timbales et autres armadas percussives traditionnelles (peaux-métaux-bois) est en effet un professionnel de la musique et possède une partition écrite avec des notes. Tous les autres intervenants, les 16 artisans et les quatre dames au chœur, se basent sur des entrées et sorties indiquées d'un trait sur la partition. Sans notes, des femmes récitent des mots à plus ou moins grande vitesse, les artisans rythment le déroulement de la partition sur interventions du chef.
Ainsi, pâtissier, cordonniers, maçons, outilleurs, tailleur de pierre, menuisiers, tonneliers et polisseurs jouent littéralement de leurs instruments et du bruit qu'ils font en travaillent en travaillant en toute réalité : un dallage est monté, un tonneau fabriqué, un mur monté. Il est fascinant de voir combien, grâce à leur métier et aux gestes éprouvés depuis des années de labeur, ces artisans parviennent à donner vie à l’œuvre. Ils ont tous la partition devant eux malgré tout mais leurs regards ne quittent pas Giorgio Battistelli dont la direction par le geste et l’expression du regard revient à sa quintessence. Parfois en battue à trois ou quatre temps, les mains semblent pétrir le son ou frapper quelque chose qui est immédiatement entendu après avoir été vu. Tout comme un orchestre de chambre avec des vrais musiciens, chacun a sa place et nuance à la demande. La grosse percussion des tonneliers ajoute une précision redoutable à la force du geste. La délicatesse du tailleur de pierre en montre à tous quant à sa constance dans la rythmique. Deux crescendos principaux sont suffisamment éloquents pour déclencher les applaudissements du public.
Le traitement de la voix - n'oublions pas qu'il s'agit tout de même d'une sorte d'opéra - se fait donc par le biais nous l'avons dit des quatre dames dont l'effet de paroles donne une impression assez inquiétante, comme des invocations ou des murmures religieux. De plus, un récitant débite un texte technique (il s'agit d'une sélection de textes tirés de l'Encyclopédie ou du Dictionnaire des Sciences, des Arts et des Métiers de Diderot et d'Alembert traduit en italien) en rapport avec ce que l'on entend. Entre récit pur et simple, parlé-chanté ou psalmodié, Pepe Servillio donne assez de variétés pour éviter la monotonie, jouant sur les effets linguistiques de la langue italienne avec une grande virtuosité.
Experimentum Mundi pose plusieurs questions : dans le pays de l'opéra, peut-on composer un opéra quasiment sans airs au sens traditionnel ? Faut-il être un musicien expérimenté pour jouer une partition contemporaine sans notes écrites mais aux départs et arrêts très précis en toute connaissance de cause des codes de la gestuelle de direction d'orchestre ? N'en doutons plus après cette performance qui remet bien des pendules à l'heure.
À noter : L’éditeur EuroArts n’a pas cru bon de sous-titrer ce programme en français. Il s’adresse donc prioritairement aux marchés italien, allemand et anglais ! De fait, nous aurions logiquement accordé la note de "10" à ce programme, mais le "9" s'impose en raison de l'absence de localisation.
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Nicolas Mesnier-Nature