Un patchwork de situations montées avec énergie ouvre notre regard sur l'univers de la danseuse : répétitions, visage à nu ou maquillé pour la scène, cils allongés à l'infini pour incarner une princesse, diverses incarnations de rôles… Aurélie Dupont, nous fait comprendre le réalisateur, est tour à tour toutes ces femmes.
La Dame aux camélias. © 2010 MK2 S.A." width="450"/>Nous remontons le temps et retrouvons une petite fille de 12 ans prometteuse, puis adolescente dans la classe de danse de Jacqueline Moreau.
La rupture est nette lorsque l'image nous impose la jeune femme en train de fumer une cigarette (la pause cigarette reviendra plusieurs fois…) au balcon de l'Opéra de Paris en compagnie d'une autre danseuse étoile maison : Marie-Agnès Gilot.
Leur complicité ne fait aucun doute.
Les deux jeunes femmes sont bien dans leur époque, leur parler est franc, direct.
Le moment est idéal pour décrire la rigueur de l'école française en matière de danse et le cours obligatoire du matin qui jouent le rôle de garde-fous et font office de structure sur laquelle on s'appuie après les possibles débordements de la veille.
Sans cette structure qu'elles ressentent si bien, qu'adviendrait-il de ces terribles fouettés du Lac des cygnes qu'Aurélie Dupont termine à terre, épuisée par la répétition ?
Le réalisateur introduit à ce point la présence de Manuel Legris, partenaire de prédilection de la danseuse, qui la retrouve pour travailler ce Lac, puis La Dame aux camélias.
La confiance en son partenaire est primordiale comme le démontre un porté particulièrement ardu chorégraphié par John Neumeier. "Je suis sur un fil", s'angoisse la danseuse. La peur de tomber. Le doute est exprimé par quelques mots, quelques plans remarquables.
Sur scène, la difficulté sera transcendée.
La Dame aux camélias c'est, pour le rôle principal, quelque quatorze changements de costumes, bijoux ou coiffure en coulisses. Ou comment ajouter au stress de la représentation et des difficultés de la danse lorsque le but est de viser la perfection…
La caméra ne nous montrera jamais la danseuse dans sa vie personnelle.
Nous la voyons entrer et sortir du métro, mais jamais nous ne l'accompagnerons chez elle, après une représentation, dans son quotidien de femme.
De là, sans doute, cette frustration dans notre approche de l'artiste. Lorsqu'elle n'est plus la danseuse reconnue, qui est-elle ? À quoi s'intéresse-t-elle ? Quel regard porte-t-elle sur les autres ?
Diverses questions resteront sans réponse, qui peuvent laisser le spectateur sur sa faim. Par exemple, pourquoi cet amas de chaussons de pointes devant la fenêtre de la loge de la danseuse ?
La Dame aux camélias, ballet chorégraphié par John Neumeier. © 2010 MK2 S.A." width="400"/>Aurélie Dupont attend un enfant et approche du terme de sa grossesse. Nous la retrouvons alors qu'elle rend visite à ses collègues qui répètent.
Sa conversation avec Brigitte Lefèvre, Directrice de la danse, rapprochera le spectateur de l'artiste par le doute qui est exprimé. Retrouvera-t-elle son corps, ses capacités techniques, après l'accouchement ? Pourra-t-elle encore danser ?
Brigitte Lefèvre se veut rassurante. D'autres danseuses ont bien négocié l'après-grossesse bien avant elle. Aurélie Dupont ne semble certaine de rien.
La reprise sera de fait difficile, avec l'exigeant ballet-marathon Raymonda qui doit marquer son retour sur scène. Les reins sont douloureux (ou bien est-ce le poids de l'enfant ?). Les pieds ont du mal à supporter ces paires de pointes pourtant si familières quelques mois auparavant. Le doute réapparaît. La faisabilité se joue-t-elle entièrement au niveau du mental ?
Il faut dire qu'un changement de partenaire n'est pas fait pour arranger les choses. José Martinez remplace Mathieu Heymann, souffrant. Il va falloir s'habituer à d'autres mains, une autre taille, une autre forme de connivence… au moment de retrouver la scène.
Mais, plus que tout, il faudrait retrouver du plaisir à danser alors que, un an après s'être arrêtée, tout est plus lourd, pesant, et que les éclairages de scène sont si éblouissants.
Raymonda est un succès et nous nous glissons avec discrétion parmi les danseurs qui applaudissent leur étoile, leur amie peut-être, une fois baissé le dernier rideau de la soirée. Aurélie Dupont remercie de façon émouvante sa répétitrice Clotilde Vayer. L'étoile brille à nouveau.
Changement d'esthétique, changement d'univers. Nous accompagnons maintenant la danseuse un mois avant la reprise sur scène du ballet d'Angelin Preljocaj Le Parc.
Aurélie Dupont travaille avec Manuel Legris sous le regard attentif du chorégraphe.
Le cinéaste saisit avec humanité ce qui peut habiter une séance de travail entre danseurs qui se connaissent bien. Moments d'émotion, complicité dramatique, ratages voire posture ridicule du corps qui ne trouve pas sa place : merci à la caméra pour ce partage si proche de la réalité des danseurs qui, après avoir maintes fois dansé une œuvre, doivent toujours la travailler et la travailler à nouveau afin de satisfaire l'exigence du chorégraphe et leur propre exigence.
Le documentaire s'achèvera sur une note mélancolique.
Un mois s'est écoulé et nous devenons spectateur des adieux du danseur étoile Manuel Legris.
"J'avais l'impression de partir avec lui", confiera Aurélie Dupont…
Philippe Banel

























