Une œuvre musicale peut-elle réhabiliter son compositeur, notamment quand celui-ci a soutenu, sans jamais les démordre, des thèses nazies ?
Certainement pas.
En revanche, peut-on rejeter une œuvre musicale sous prétexte que son compositeur a soutenu de telles thèses ?
Si l’on en croit le chef d'orchestre juif Bruno Walter qui a dirigé l’œuvre à sa création en 1917 et qui l’a toujours soutenue - l'œuvre, précisément, et non son compositeur ! -, puis l’opéra de Munich aujourd’hui, la réponse est de nouveau négative.
Car c’est bien la question qu’on peut se poser devant l’œuvre de Hans Pfitzner en général et devant ce Palestrina en particulier, que l’on considère comme son œuvre la plus réussie.Modestement, nous remettrons en cause l’engouement quelque peu excessif que suscita cet opéra.
Certes, il fait montre d’un sens inné et tout à fait séduisant des couleurs et d’une réelle technique d’écriture.
Mais cela n’empêche pas son net déséquilibre sur le plan de la forme, avec un Acte I gigantesque qui tient à lui seul la moitié de l’œuvre, et beaucoup de récitatifs maladroits, dans lesquels les rapports texte/musique sont nettement déséquilibrés au profit d’un bavardage inutile, tandis que les commentaires instrumentaux sont écrits de manière bien triviale.
Pour autant, on ne peut nier les qualités intrinsèques de cette œuvre associant un romantisme post-wagnérien, des touches schumaniennes et un langage dramatique proche de Humperdinck, autour d’un sujet pour le moins intéressant : le drame de l’artiste en mal d’inspiration qui trouvera refuge dans l’alcool (d’où les visions très oniriques de cette version) et la satire de l’église, plus attachée à la politique qu’à la foi.
De plus, cette production ne manque pas de qualités musicales lorsqu'il s’agit de ses interprètes.
Christopher Vendris campe un Palestrina totalement crédible, torturé par le manque d’inspiration et la disparition de son épouse.
Son émotion, parfaitement maîtrisée sur le plan technique, et servie par un timbre solide et empathique, nous envahit immédiatement tant son interprétation est à l’unisson avec la chef et son orchestre, dans le prolongement direct du Prélude d’ouverture.
On ne manquera pas non plus de remarquer l’Ighino de Christiane Karg, aux couleurs irrésistibles.
Du côté des ecclésiastiques, les graves dominent largement avec notamment un Müglitz épatant, si ce n’est la remarquable et trop courte partie de ténor d’Ulrich Ress dans le rôle de Budoja ou celle, cette fois trop longue car trop imparfaite par son vibrato dégoulinant, de Kenneth Roberson dans le rôle du Patriarche d’Assyrie.
Avec sérieux et naturel, la chef d'orchestre australienne Simone Young et excellente germaniste, parfaitement intégrée dans le microcosme musical allemand - lire notre test du Dialogue des Carmélites -, défend à bras-le-corps cette œuvre globalement très accessible.
Mais quel que soit l'intérêt que l'on peut porter à cette résurrection maîtrisée et approfondie – en effet, la production s’est donnée 6 mois après la première pour graver le présent enregistrement, de sorte que l’œuvre soit vraiment "digérée"-, elle ne témoigne pas forcément de cette "immortalité" dont Bruno Walter qualifiait Palestrina.
Lire le test du DVD Palestrina
Jérémie Noyer