Certes une première pour Covent Garden, mais ces Vêpres siciliennes, disons-le d’emblée, marquent tant par leur intelligence scénographique que par leur mystère. Cela commence par la bonne idée de transposer cette histoire originale de guelfes et de gibelins à l’époque et sur les lieux mêmes de la création de l’Opéra de Paris, en ce 13 juin 1855. Les rouges et ors du Second Empire se combinent avec différentes formes de mises en abîme - chœur/public de l’opéra - et effets de miroir qui apportent également à cette transposition historico-géographique une dimension philosophique. Tout cela s'exprime au sein d’un réseau multi-référentiel parfois si complexe qu’il en vient à dérouter le spectateur.
La frontière entre fiction et réalité se fait ainsi ténue, voire floue, quitte à associer un réalisme parfois cru, tel le viol introductif, à une fantaisie troublante voire quasi ésotérique avec le déguisement féminin de Procida et le rôle parfois franchement dérangeant des enfants. Devant une telle complexité, l’outil vidéo s’avère tout à fait crucial, permettant de multiples lectures et force est de constater que plusieurs visionnages sont encore loin d’épuiser cette mise en scène labyrinthique.
Côté musique, la réussite de cette production repose en grande partie sur la direction d’Antonio Pappano, qui a su explorer les tréfonds de cette sombre partition et en extraire mille et une nuances, de l’obscurité à la pénombre, de la colère au désespoir. Il y a un peu de Meyerbeer dans ce Verdi, et le drame qui se joue ici se pare d’un lyrisme qui emporte tout sur son passage, sans jamais dédaigner une certaine élégance qui fait écho au ballet sacrifié, lequel ponctue la mise en scène. Cordes impeccables, bois suaves et ténébreux, on ne sait que louer en premier lieu, et cette interprétation parvient à distiller à l’envi tensions et détentes, faisant passer la pilule des quelques longueurs auxquelles la grande forme ne permet hélas pas d’échapper. Malheureusement, le niveau de diffusion sonore, bien trop bas, nous prive d’une partie non négligeable de cette performance musicale.
Le plateau de chanteurs, sans être totalement enthousiasmant, est cependant digne d’éloges. Mais, en tant que Français, nous ne pouvons que déplorer la qualité de la diction française. Heureusement, l'approximation de la prononciation se fait oublier au profit de la musique. À commencer par celle que déploie le baryton allemand Michael Volle dans le rôle de Guy de Monfort. Impérial et détestable à souhait, il use avec maîtrise d’une technique imparable qui lui permet de peindre un personnage glacial. Certes Lianna Haroutounian, appelée en urgence pour remplacer Marina Poplavskaya souffrante, a eu peu de temps pour prendre ses marques dans cette production. Mais la soprano arménienne fait bonne figure et apporte ce qu’il faut de grâce au rôle d'Hélène pour dépasser le seuil de la simple honnêteté. Erwin Schrott impressionne quant à lui par son timbre d’airain qui nous fait atteindre des sommets dans cette tessiture. Malheureusement, une perte de contrôle en certains endroits fait passer la voix à un nasillard détonnant et déplaisant. Un peu plus de constante et de maîtrise sur la durée aurait abouti à une très grande interprétation à même d'inspirer aussi bien la crainte que le ridicule, notamment dans ce costume vraiment improbable de courtisane.
Enfin Bryan Hymel confirme son inexorable progression, avec ce mélange de naturel désarmant qui cache avec pudeur et humanité une technique aguerrie. Son timbre surprend malgré tout quelque peu dans Verdi, et c’est finalement une chance que l’opéra soit en français, une langue et un style qui lui conviennent visiblement davantage que le bel canto.
Intelligence et musique font donc bon ménage dans cette production emblématique des Vêpres siciliennes qu’il convient de ne pas rater tant par sa rareté en vidéo que par ses qualités intrinsèques que des visionnages répétés ne feront que bonifier.
Jean-Claude Lanot
Lire le test du DVD Les Vêpres siciliennes au Royal Opera House
Retrouvez la biographie de Giuseppe Verdi sur le site de notre partenaire Symphozik.info
Le ténor Bryan Hymel (Henri dans Les Vêpres siciliennes) a enregistré un superbe récital consacré aux héros de l'opéra francais sous le titre Héroïque. Accompagné par le Prague Philharmonia dirigé par Emmanuel Villaume, il interprète avec vaillance et nuances des airs d'opéras peu défendus voire oubliés, tels L'Attaque du moulin d'Alfred Brunau, Rolande et les mauvais garçons d’Henri Rabaud ou Sigurd d'Ernest Reyer. Rossini, Berlioz, Verdi, Gounod, Meyerbeer et Massenet sont par ailleurs parfaitement servis par cet interprète amoureux du chant français.