Tcherniakov, c'est le trublion actuel du petit monde de l'opéra. Au-delà de la polémique qui ne sert qu'à alimenter les causeries stériles entre les biens-pensants du grand opéra bien fondé sur une bonne tradition sécuritaire, et les modernistes adeptes de la table-rase réappropriatrice mais pas toujours justifiée, qu'il nous soit permis de réaffirmer ce point de vue : à partir du moment où la transposition apporte quelque chose par le biais d'une dramaturgie inédite, il n'y a pas lieu de la rejeter.
Encore, et avec ses limites, Tcherniakov remodèle La Fiancée du Tsar.
Un plateau tournant permet une fluidité dans l’enchaînement des diverses scènes. Les décors dus eux aussi au metteur en scène nous projettent dans le XXIe siècle grâce à une subtilité amusante : ce que l'on vois nous fait penser à une représentation historique, puis nous nous rendons compte au lever de rideau qu'il s'agit d'une mise en scène pour un tournage... Les décors surchargés de la première partie deviendront de plus en plus épurés, allant a contrario de la montée émotionnelle. Puis bouclant la boucle, nous retournerons dans les studios initiaux.
Le début est fascinant mais ne tient pas ses promesses : un chat entre opritchiniks imagine la création virtuelle d'un tsar à partir de portraits robots de personnalités politiques russes, et lui chercheront une fiancée. L'idée de l'existence d'un maître politique que personne ne verra jamais a de quoi stimuler l'imagination et ne paraît pas aussi absurde qu'elle en a l'air. Mais développer cet état de fait tout au long de l’?uvre et lui trouver une conclusion (ce qu'il n'a pas) aurait peut-être mieux convenu à un opéra plus politique.
Visuellement brillant, nous ne sommes pas plus déçus par le choix de la distribution vocale.
Johannes Martin Kränzle s'impose sans difficultés dans un Grigory Gryaznoy expressionniste, torturé, incarnation même du chanteur-acteur toujours expressif. La Marfa d'Olga Peretyatko reste sur la touche du jeu de scène : une voix sans heurts et bien menée ne permet pas de construire un personnage, bien trop sur la réserve.
C'est tout le contraire avec la mezzo-soprano Anita Rachvhvelishvili qui elle possède ces deux atouts : une voix portante et noire, qui sait tour à tour devenir suppliante, menaçante, amoureuse et désespérée, un jeu de scène qui crève l'écran. Le public hurlera son bonheur à son salut final, contrairement à la soprano.
Les deux ténors sont pour une fois très biens : Pavel Cernoch en fiancé dépassé par les événements qui pliera devant la volonté du "tsar" et Stephan Rügamer dans le rôle du sorcier-médecin pourvoyeur de filtres. Anatoli Kotscherga garde une présence certaine malgré son âge en père atterré : son solo du dernier acte garde toute son émotivité. Enfin, dans un petit rôle, Anna Tomowa-Sintow elle-même, qui, si elle n'a plus sa voix d'antan sous Karajan, ne démérite pas pour autant.
N'était cette idée initiale inaboutie, on ne peut que se féliciter de voir au catalogue cette Fiancée peu présente en enregistrements. L'absence de points noirs dans la distribution, la direction parfaite de Barenboim, grand chef de théâtre aux petits soins pour ses chanteurs, et une fin qui n'est pas celle prévue à l'origine nous font adhérer pleinement à cette entreprise.
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Nicolas Mesnier-Nature