Éloignés de nous les légendes avec navire, fantôme et marins : le monde crée par Andreas Homoki nous plonge dans la bureaucratie kafkaïenne des années 1930. L'identification vestimentaire uniforme avec ses costumes gris et ses petites lunettes rondes transforme les chœurs des matelots et des fileuses en employés de bureau soumis. Daland est le grand maître auquel tous obéissent, espèce de directeur de comptoir commercial dont la proie économique est l'Afrique colonisée. Les rouets des fileuses se transforment en autant de machines à écrire. Une immense carte de l'Afrique trône au mur, en place centrale, ainsi qu'un tableau maritime pour ce décor tournant. De lourdes boiseries sombres écrasent le personnel, figures ternes enveloppées dans une lumière crépusculaire. Le décor, les personnages sont plantés. Le fantastique qui est un des éléments importants de l’œuvre apparaît sous deux aspects : la marine murale s'anime, les vagues prennent forme, un vaisseau apparaît et disparaît le tout en animations vidéos. La carte murale de l'Afrique prendra feu et un employé noir de la firme reprendra son aspect naturel de chasseur local. D'autre part, le Hollandais fait lui aussi des apparitions-disparitions à la manière d'un spectre colossal, au visage blafard strié de marques tribales et revêtu d'un immense manteau de poils.
Le problème est que cette nouvelle scénographie ne va pas jusqu'au bout de ses idées, mais la faute en incombe au livret de Wagner qui ne peut que difficilement être interprété largement. Le colonialisme occidental et le fantastique viennent touche par touche et l'on a vite fait, entre des airs, de l'oublier. En revanche, la chorégraphie du chœur est à souligner : sans cesse en animation, il devient bien le troisième personnage de l'opéra, voire par moments le premier au début de chaque acte.
Tout repose sur Bryn Terfel dans cette représentation : chant engagé, volume et tenue sonore impressionnants, incarnation imposante. Autre basse, Matti Salminen en Daland possède beaux restes vocaux. Par contre, l'Erik de Marco Jentzsch, bien que vocalement adapté, a cette couleur ingrate du chant contre laquelle il ne peut rien. La Senta de Anja Kampe reste toujours en force à la limite parfois du cri. C'est une volonté propre et non une nécessité, l'orchestre dirigé par Alain Altinoglu ne se démarquant pas spécialement par un outrepassement de puissance sonore mais toujours bien en relief.
Pour qui veut entendre Bryn Terfel dans le rôle-titre, cet enregistrement constitue un bon choix alternatif aux versions traditionnelles. Pour qui désirerait une adaptation créant un autre univers, nous pouvons conseiller celle de Martin Kusej déjà critiquée dans nos colonnes, d'une tout autre portée.
Lire le test du DVD Le Vaisseau fantôme à l’Opéra de Zürich en 2013
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Nicolas Mesnier-Nature