Cette captation du 12 mai 2012 entre ainsi dans le cadre des événements musicaux organisés pour le centenaire de la mort de Jules Massenet. Le programme, bien conçu, est divisé en deux parties : la première s'intéresse au Sacré dans les opéras du compositeur ; la seconde à l'oratorio La Terre Promise, créé en 1900 à l'église Saint-Eustache.
Les airs et duo d'opéras constituent l'ouverture de ce concert, tirés successivement de : Hérodiade, Le Jongleur de Notre-Dame, Thaïs et Le Cid. Trois solistes alternent, accompagnés par l'Orchestre Français d'Oratorio dirigé par Jean-Pierre Lo Ré. Il faut reconnaître que la cohérence de ce court récital d'airs d'opéras avant l'oratorio, pièce maîtresse du concert, a de quoi séduire. Malheureusement, le niveau inégal de la qualité musicale de l'ensemble ternit quelque peu cette démarche prometteuse.
La jeune soprano Sabine Revault d'Allonnes séduit d'emblée dans "Charme des jours passés où j'entendais sa voix…" extrait d'Hérodiade. Le timbre clair et plaisant, associé à une diction parfaite, profite d'une projection naturellement généreuse. Les aigus mériteraient sans doute plus de rondeur, mais l'intention théâtrale est là pour accompagner le chant et le faire vivre jusque dans des contrastes très maîtrisés. La caméra capte fort bien une expression qui accompagne la voix de façon spontanée et l'on imagine sans mal le charisme dont la jeune artiste doit faire preuve sur une scène d'opéra. Le ténor Patrick Garayt monte ensuite sur l'estrade pour un air tiré du même opéra, "Ne pouvant réprimer les élans de la foi…". Le regard baissé sur la partition, il devient très difficile d'exprimer quoi que ce soit et les quelques regards captés par le réalisateur montrent un chanteur plus attentif à sa voix qu'au personnage qu'il est censé incarner. De fait, la ligne de chant est bien tenue, la gestion du souffle est correcte et le timbre plutôt agréable, hormis des aigus étranglés et assez criards. Privée d'émotion, l'écriture de Massenet ressort encore plus "convenue" quelle ne l'est intrinsèquement dans cette page.
La Légende de la Sauge, tirée du Jongleur de Notre-Dame est ensuite interprétée par le baryton Jean-Louis Serre. La voix est belle et l'interprète est attentif aux couleurs mais la puissance manque légèrement et le chanteur adopte davantage une posture qu'il ne joue ce qu'il chante. Le fossé qui sépare cette expression à celle de Sabine Revault d'Allonnes est flagrant dans le duo extrait de Thaïs, "Baigne d'eau mes mains et mes lèvres…"*. Voilà deux voix qui s'accordent bien, mais une image montrant une chanteuse qui vit ce qu'elle chante, et un interprète bien trop sur la réserve. Il est vrai que la petite estrade sur laquelle sont installés les chanteurs ne permet pas une expression bien large.
Dans "ô Souverain, Ô juge, Ô père !" tiré du Cid, Patrick Garayt montrera une belle musicalité mais des aigus assez pénibles. Quant à la flamme attendue ici…
* Voir vidéo à la fin de cette critique.
La direction de Jean-Pierre Loré est attentive aux chanteurs mais, en définitive assez laborieuse. L'orchestre est correct mais - hors le beau violon de Sotiris Kyriazopoulos - les cordes sont parfois un peu justes et, trop souvent, les attaques se montrent imprécises. Le soutien de la ligne de chant est en revanche bien assuré.
L'oratorio La Terre Promise fait appel à un large effectif. À l'Orchestre Français d'Oratorio, viennent s'ajouter ici les superbes Cuivres de Guy Touvron dont les instruments remplaceront les 7 trompettes longues de la création le 15 mars 1900. Une importante masse chorale a également été convoquée pour cette œuvre : au Chœur Français d'Oratorio s'ajoutent l'Oratorienchor Köln, les Chœurs Elisabeth Brasseur, l'Ensemble Choral À Contretemps, l'Ensemble Polyphonique de Versailles, les Chœurs de Cernay-la-Ville, ainsi que quelques éléments issus de l'Ensemble Vocal d'Orgeval et du Nouvel Ensemble Polyphonique de Paris. Il faut dire qu'à l'image, le nombre impressionne !
L'œuvre est écrite en trois parties, chacune faisant appel à un chanteur soliste. Nous retrouvons donc dans l'oratorio, les trois chanteurs entendus dans les airs d'opéras qui précèdent. Moab (L'Alliance) fait appel au baryton, Jéricho (La Victoire) utilise la voix de ténor et la dernière partie, Chanaan (La Terre Promise), la voix de soprano.
Il est sans doute difficile de mener à bien une telle entreprise, surtout lorsque tant d'origines différentes composent le chœur. Peut-être cette disparité, conjuguée à l'effet de masse, explique-t-elle cette sensation de lourdeur et de "grosse machine" qui met un temps fou à démarrer et fait preuve d'une inertie telle que le rythme est souvent noyé dans la masse. Il faut voir Jean-Pierre Lo Ré s'efforcer de diriger tout ce petit monde, articulant chaque mot du texte pour fédérer ses troupes. Et puis il y a cet orchestre assez moyen dont la caméra nous montre plusieurs musiciens bien peu concernés par cette Terre Promise quelque peu indigeste, il est vrai. Reconnaissons que Massenet s'est montré plus inspiré à l'opéra que dans cette pièce bien écrite mais fortement datée dans sa pompe…
Le faible charisme de Jean-Louis Serre, dans la première partie, n'arrange rien car c'est la plus longue. La voix manque singulièrement d'autorité pour nous tirer de l'ennui qui guette, et la main gauche qui tente passagèrement un semblant d'expression ne convainc pas plus.
Dans la seconde partie, l'énergie déployée sort le spectateur de sa torpeur et les cuivres dynamisent enfin l'ensemble. Patrick Garayt fait ici preuve de plus d'autorité, et on s'inclinera devant sa diction parfaite, tout en regrettant des aigus forte bien laids. Les cuivres de Guy Touvron apportent de superbes sonorités à Jéricho. Le cri spectaculaire qui accompagne l'effondrement est également parfaitement mis en place et, avouons-le, l'effectif choral impressionne !
On retrouvera la parfaite projection vocale de Sabine Revault d'Allonnes dans la troisième et dernière partie, sans aucun doute la plus subtile mais malgré tout assez pauvre sur le plan mélodique. Quant à la conclusion chorale, nous souffrirons en même temps que le chef affairé à coordonner les choristes empêtrés dans l'articulation des mots menant à une conclusion musicale assez banale.
Difficile de conclure autrement que partagé devant ce concert qui rend à la fois bienveillant devant le travail qu'il a sans doute fallu déployer pour parvenir à un tel rassemblement de forces, mais déçoit par la disparité musicale affichée à plus d'un titre. Seule Sabine Revault d'Allonnes apporte ce que nous aurions voulu trouver pour l'ensemble : un sens et une énergie musicale animés par cet engagement qui, seul, permet de s'intéresser à cette Terre Promise. Reste une captation qui pourra trouver sa place de par la rareté de l'oratorio de Massenet au catalogue.
À noter : Ce DVD est accompagné d'un livret de notes très complètes en français.
Philippe Banel