Pianiste iconoclaste, personnalité hors norme, Alfred Brendel est désormais une figure légendaire du piano, notamment pour ses enregistrements de Beethoven… et Schubert, dont il a réhabilité au concert, dans les années 1970, un certain nombre d'œuvres qui étaient jusqu'alors négligées, comme les dernières sonates.
C'est là l'origine de cette série de treize films tournés pour la télévision à Brème et qui se concentrent sur les œuvres pour piano à deux mains de la dernière période de Schubert, largement introduites par Brendel lui-même (en langue allemande).
Le propos du pianiste, souvent répété tout au long de ses présentations, est de renouer avec le véritable Schubert, rompant avec les clichés – toujours vivaces aujourd'hui - d'un compositeur lisse, sans aspérité, bon enfant, presque ronflant, tout juste bon à représenter en musique la douce quiétude de la campagne autrichienne, au gré du mouvement berceur des ailes d'un moulin ou de celui de quelque poisson de rivière remontant le courant…
Image paradoxale et presque vieillotte d'un compositeur qui n'a pas dépassé 31 ans et par rapport à laquelle Alfred Brendel s'inscrit en faux pour mieux développer l'idée d'un compositeur jeune et en pleine possession de ses moyens expressifs et surtout dramatiques, innovant à chaque mesure, traversé de questionnements extrêmes.
Pour ce faire, il développe une musicologie critique (il remet notamment en cause les écrits de Schuman sur Schubert) très argumentée, basée sur une connaissance exhaustive de l'ensemble du grand répertoire germanique – et pas seulement pianistique - ainsi que de la pratique de l'instrument. Mais cette approche, pour intellectuelle, n'en oublie pas pour autant la dimension émotionnelle des œuvres, le sentiment, qui est pour lui "l'alpha et l'oméga de la musique".
Tout cela fait de cette somme un témoignage passionnant et totalement convainquant d'un interprète (malheureusement) d'un autre temps, qui fait passer le compositeur avant lui-même, sans ostentation d'aucune sorte, refusant le spectaculaire, humble et habité à la fois.
Volume 1 de la collection
Cette série s'ouvre par un classique, la Fantaisie Wanderer, ainsi que par les Sonates en la mineur et do majeur. Ici, Brendel s'attache à montrer les spécificités du langage schubertien à travers de larges comparaisons avec les autres sonates du compositeur. Il montre également toute la dimension orchestrale de son écriture pianistique, qui le conforte dans sa vision d'un Schubert puissant et dramatique, y compris dans ses œuvres pour soliste. Il démontre aussi toute l'invention du compositeur à travers une étude très précise de la forme (pour la Fantaisie), assez unique pour l'époque. Fort de ces explications, le pianiste nous livre une interprétation forte, percussive, marquante de la Wanderer dont seule la prise de son vient malheureusement amoindrir l'impact.
Jérémie Noyer




























