
L'on a écrit, dans ces colonnes, notre adhésion sans réserve à Adam's Passion, qui "commença par une aventure et se termina par un triomphe ", ainsi que le rapporte le très beau livret qui accompagne le DVD. La suffocante beauté d'Adam's Passion est de celle à laquelle on aimera revenir dans un Monde souvent en déficit d'introspection.
Déplorons d'emblée la politique éditoriale d'Accentus Music qui a forcément limité la visibilité de The Lost Paradise en ne l'incluant pas dans le DVD d'Adam's Passion. Plutôt que l'inverse, The Lost Paradise intéressera en toute logique celui qui aura préalablement vu Adam's Passion. Les 56' du film recueilli et passionnant de Günther Atteln réservent finalement une portion que l'on trouvera trop congrue à Adam's Passion, qui n'est pas un opéra, seulement une "œuvre que l'on peut voir et entendre", selon les modestes termes de Robert Wilson. On assiste à quelques séances de travail. On y découvre l'humilité d'un Robert Wilson soucieux de parvenir à un environnement qui aidera "à mieux entendre la musique" et, le plus surprenant, qui n'arrive pas avec une conception clés en main mais qui, au contraire, entouré du compositeur et du chef d'orchestre, crayonne, propose, s'interrompt pour commenter, souvenir d'enfance à l'appui, la pluie qui ruisselle sur le toit de l'usine désaffectée où se répète le spectacle, bref, cherche encore, paisiblement, en prenant le temps… On le voit aussi, à la place où se tiendra son Adam de scène, troublante silhouette en costume sur le fond lumineux qui découpera plus tard la nudité du Premier Homme. Quelques images du spectacle achevé ponctuent ces moments rares autant que précieux qui président à toute création. On a vraiment d'être en compagnie d'hommes remarquables.

Alors que l'on aurait aimé rester plus longtemps encore dans cette usine où, avant l'indépendance estonienne de 1990, l'ex-Union soviétique construisait des sous-marins, le cinéaste abandonne le metteur en scène pour suivre le compositeur au Japon, au Vatican… Il donne la parole à Tonu Kaljuste, à la compositrice Sofia Gubaidulina, au chef de chœur Paul Hillier, au violoniste Gidon Kremer qui dit très bien pourquoi les sons de Pärt touchent autant : "des sons qui surprennent dans notre époque où le bruit est roi". Et au compositeur lui-même dont le mysticisme profond fait entendre de troublantes professions de foi : "Tout le malheur de l'humanité provient du faux pas d'Adam… Le péché d'Adam était réellement énorme. Une trahison. Le summum du péché", ou encore : "Je pense que les humains, qui descendent tous d'Adam, appartiennent en fait à une autre espèce. Nous n'avons hérité de lui que les mauvais côtés". Au Vatican, on le voit questionner publiquement devant une assistance entre componction et sourires entendus, le fait de savoir qui, d'Ève ou Adam a commis le plus grand péché. Pas l'ombre d'un doute pour Pärt : c'est Adam, pour avoir osé reprocher à Dieu de lui avoir donné compagne tentatrice. Plus loin, à une journaliste qui le questionne sur ce que signifie pour lui l'aspect religieux de la musique d'Arvo Pärt - ce Messiaen nordique, dont toutes les œuvres sont des prières -, Wilson affirme tout net : "Le religieux n'a rien à faire au théâtre. La religion divise les hommes", préférant souligner la spiritualité de cette musique. "La spiritualité est quelque chose qui libère." Pärt écoute avec recueillement, se disant fasciné par la lumière wilsonienne. Dont acte. Les fascinations réciproques des deux artistes, très bien captées par le film de Günther Atteln, ont engendré celle que provoquera longtemps Adam's Passion.

À noter : Ce DVD est joliment présenté sous couverture cartonnée au côté d'un livret de 34 pages couleurs dont les textes sont proposés en français, anglais et allemand.
Ce documentaire n'est pas disponible en Blu-ray.
Retrouvez la critique du DVD Adam's Passion
Jean-Luc Clairet


































