
C’est un fait établi que le jeu vidéo peut être aujourd’hui considéré comme un véritable objet de culture qui dépasse la simple sphère vidéoludique. Pour preuve, ses interactions avec le cinéma font florès : de Final Fantasy à Prince of Persia, on ne compte plus les adaptations de jeux sur grand écran ou, à l’inverse, les réalisateurs et producteurs de films comme ceux de Matrix qui s’impliquent dans la création de jeux pour consoles en tout genre. Le jeu vidéo touche désormais tous les âges et toutes les couches de la société. Il nous divertit, nous fait pratiquer un sport - physique ou cérébral - ou même nous apprend à dessiner et à faire la cuisine.
Media tentaculaire et versatile, il s’intéresse également depuis bien longtemps à la musique qu’il parvient même, à l’instar de la musique de film, à extraire de son contexte (en tout cas au Japon) tant les CD et les concerts de musique symphonique de jeux vidéo ont du succès au pays du soleil levant : Zelda, Final Fantasy et Kingdom Hearts, pour nous contenter de ne citer que quelques titres.

La franchise "Professeur Layton" en est le parfait exemple. Créée il y a quelques années par Akihiro Hito, fondateur du studio Level-5, le jeu combine une véritable approche cinématographique, à travers notamment de remarquables séquences d’animation et une véritable intrigue, tout sauf abêtissante, imaginée par un universitaire et auteur bien connu au Japon, Akira Tago, lui-même ancien professeur à l’université de Chiba et spécialiste des énigmes, tout comme son héros. Ces énigmes peu évidentes et extrêmement variées font ainsi partie intégrante du scénario du jeu vidéo et participent réellement à faire avancer l'histoire.
Très vite, le premier opus de la saga paru en 2007, Professeur Layton et l’étrange village, est un succès qui en appelle immanquablement d’autres. C’est ainsi que le Japon en est à son cinquième épisode, tandis que la France vient de voir la sortie de son troisième, Professeur Layton et le destin perdu, toujours sur console Ninendo DS. Parallèlement, chacun de ces opus dévoile un peu plus de l’histoire personnelle de chacun des personnages, comme dans un roman, pour donner toujours plus de densité à chacun d’eux.

Avec un matériel aussi riche et un tel succès jamais démenti, il était prévisible que Layton poursuive ses aventures au cinéma, avec à peu de chose près la même équipe qui avait supervisé les séquences animées (animatiques) des jeux, à commencer par le réalisateur Masakazu Hashimoto (qui a également dirigé le fameux Full Metal Alchemist) et le compositeur Tomohito Nishiura, dont les thèmes - et notamment ceux liés aux énigmes - vont jusqu’à être chantés dans les cours de récréations françaises.
Nous avions déjà été impressionné par le niveau des jeux et ne pouvons qu’être surpris par la qualité de ce Professeur Layton et la diva éternelle, un film à la profondeur inattendue.
L’intrigue de ce long-métrage animé ne pouvait qu’interpeller Tutti-Magazine : une jeune cantatrice informe le professeur Layton qu’elle a aperçu le fantôme de sa meilleure amie défunte. Pour percer ce mystère, le professeur et son acolyte, le jeune Luke, se rendent au "Crown Petone", le plus célèbre opéra du monde, où le compositeur Oswald Whistler dévoile sa dernière œuvre. Mais sur place, la représentation se transforme en un jeu effrayant peuplé d’énigmes, dont le gagnant se verra octroyer rien moins que la vie éternelle…
Étrange synopsis que celui-ci ; une énigme à lui tout seul tant il soulève de questions inattendues dans un film d'animation.
Mais c’est mésestimer le médium qui nous a depuis longtemps déjà parlé de vie et de mort, à commencer par Bambi. C’est également méconnaître l’animation japonaise (ou Japanimation) qui est loin de ne s’adresser qu’aux plus jeunes. Au Japon, l’animation n’est pas le médium familial par excellence qu'il représente pour notre culture occidentale. Elle peut s’adresser à tous les publics, du plus jeune au plus… averti. Elle peut nous parler tout aussi bien d’écologie (Studio Ghibli, mais pas seulement), traiter d’enjeux psychologiques (Paprika) ou sociétaux (le tout récent et excellent Summer Wars) voire philosophiques (Ghost in the Shell).
Surprise ô combien excellente, donc, que cette histoire qui nous invite à accepter la mort et, par voie de conséquence, à accepter la vie telle qu’elle est, à travers une sorte d’opéra imaginaire.
Car tout commence autour d’un opéra composé par cet Oswald Whistler, basé sur le mythe de la Reine d'Ambrosia que les sujets aimaient tant qu’ils ont tout fait pour la ressusciter. Un opéra qui est en même temps le reflet de l’obsession du compositeur qui ne peut se résoudre à accepter la mort de sa fille un an plus tôt. Enfin… opéra… Le paradoxe de ce film vient aussi qu’il se situe dans le monde du bel canto sans jamais nous en distiller une seule note. Cet opéra imaginaire tient plus de la comédie musicale autour d’un seul (sublime) thème composé par Tsuneyoshi Saitô (XXXHolic/Clamp), en fait, un hymne à la mer proprement bouleversant, qui fait passer comme une lettre à la poste cette invraisemblance scénaristique. Un hymne à la grâce et à la beauté ineffables, magnifiquement interprété par la voix originale de la diva, Nana Mizuki, et qui agit comme un fil d'Ariane tout au long du film. Il renferme à la fois le concept-clef de cette histoire : la quête, justifiée ou non, de la vie éternelle qui est en chaque homme et, finalement, à l’origine de toute pensée religieuse, constitue la clef de la résurrection de la ville mythique de la Reine.

Or, il y a quelque chose de Bach dans cette ultime énigme, musicale, du film. Pour faire renaître la cité d’Ambrosia, il faut jouer conjointement trois hymnes, deux écrits sous forme de partition stylisée sur le blason d’Ambrosia, et le troisième ne se révélant qu’en retournant le blason. C’est exactement le même principe que l’on retrouve dans le fameux portrait de Johann Sebastian Bach peint à Leipzig en 1746 par Elias Gottlob Haussman dans lequel le Kantor tient la partition d’un canon qui ne peut être exécuté complètement que si on lui ajoute la même partition lue en miroir… Pas mal pour un "simple" dessin animé !
Pour le reste, le score de Tomohito Nishiura intègre parfaitement le thème de l’Hymne à la Mer varié au gré de multiples orchestrations (certaines, tout à fait intéressantes, ayant été produites exclusivement pour le disque, disponible uniquement en import) à la palette motivique écrite pour les jeux, bénéficiant pour l’occasion d’un budget plus conséquent, sans pour autant se perdre dans cette opulence. On y retrouve ainsi les couleurs caractéristiques de Layton, à savoir l’accordéon (pas très "british", mais là encore, on se laisse porter) et le basson (pour les énigmes). À partir de là, la rythmique apporte un surcroît d’énergie dans le générique, tandis que les cordes, très fournies, apportent quant à elles la sensibilité et le lyrisme propres à une odyssée aussi touchante. Là aussi, un CD a été produit, uniquement au Japon…
En résumé, Professeur Layton et la diva éternelle est une réussite sur tous les plans, tant artistiques que techniques. C'est aussi une surprise qui devrait ravir même les néophytes en matière de japanimation. En tout cas, nous le recommandons sans réserve.
Lire le test du Blu-ray
Également disponible en édition Collector réunissant dans un joli coffret les Blu-ray et DVD du film, le storyboard imprimé (640 pages) et un DVD de bonus exclusif à cette édition (lire ci-dessous Interactivité).
Ce coffret est en vente à la boutique Tutti-magazine, rubrique "Film".
Jérémie Noyer




























