
Le documentaire est modeste dans sa réalisation mais il nous met en relation la plus directe possible avec un artiste d’une grande finesse, d’une profonde humanité, une personnalité exceptionnelle de l’art du chant non seulement, mais qui compte parmi les grands interprètes du XXe siècle.
N’oublions pas que plusieurs éminents compositeurs ont écrit pour lui, Benjamin Britten (Obéron du Songe d’une nuit d’été en 1960) ou Michael Tipett pour ne citer qu’eux, et qu’il donne ses lettres de noblesse à l’art du chant médiéval, à celui de la renaissance ou de l’ère baroque. On doit ranger son immense talent, naturel, spontané et pudique au côté de celui des grands artistes de son temps dont il n’aura cependant pas l’immense popularité.
Car le répertoire qui date de plus de 400 ans avant notre époque et auquel est dévolu son immense talent ne s’adresse pas à la culture de masse. La distance est trop lointaine, la stylistique trop sophistiquée pour être spontanément comprise sans que le public ait été documenté auparavant.
On apprend autant sur Alfred Deller lui-même, sur le chant du contre-ténor que sur le répertoire qui lui est dévolu, du haut moyen âge au XVIe siècle, notamment.
Le programme (qui compte 17 plages enchaînées), sous forme d’un entretien très vivant avec Alfred Deller, évoque également la musique d’Henry Purcell puis le Deller Consort, cet ensemble vocal qu’il fonde en 1948. Doté d’une musicalité exceptionnelle, on a le bonheur de pouvoir l’entendre en répétition.
Ce qui frappe dès le premier contact avec ce portrait de Deller, est le naturel avec lequel il présente un timbre de voix et un art du chant qui ne le semble pas. On apprend que Deller a toujours chanté ainsi dès qu’il est sorti de l’enfance, de sa jolie voix de soprano qu’on avait déjà remarquée comme exceptionnelle. Il a évité le péril de la mue en ne forçant pas sur la voix de poitrine, celle du ténor du baryton ou de la basse ; il a continué "naturellement" à chanter la partie élevée (devenue voix de femme au fil de l’histoire mais masculine à l’origine), mais en utilisant le registre improprement appelé "de fausset", alors qu’il nous est en fait commun à tous, sans exception. Du haut de sa corpulence exceptionnelle, (il semble fort grand et d’une corpulence massive au-dessus de la moyenne) et du développement normal de sa cage thoracique, il devait faire entendre une voix très timbrée, à la tessiture exceptionnelle (vers l’aigu, notamment) et au volume impressionnant. Il explique assez clairement que l’époque romantique a vu disparaître la voix de contre-ténor, jusqu'alors traditionnelle, qui sera remplacée peu à peu par la voix de mezzo-soprano ou de contralto.
Ajoutons que tant les rôles eux-mêmes que la dimension des salles où les artistes se produisent désormais, exigent des moyens nouveaux plus appropriés, voire plus crédibles dramatiquement.
On sait de nos jours qu’Alfred Deller a été le pionnier et l'on compte aujourd’hui un nombre impressionnant de disciples directs ou indirects puisque, fort heureusement, cet art du chant nous est redevenu familier avec lui. La liste devenue fort longue (et ici bien incomplète, qu’on nous le pardonne !) s’est enrichie de talents aussi remarquables que ceux de René Jacobs, James Bowman, Henri Ledroit, Gérald Lesne ou plus récemment encore de Dominique Visse, Andras Scholl ou Philippe Jaroussky.
Ne serait-ce que pour cela et à travers le temps, qu’un vibrant et légitime hommage lui soit rendu : ce coffret à acquérir de toute urgence y contribue largement.
À noter : Les questions posées sont en français et peuvent être sous-titrées en anglais, allemand et espagnol. Alfred Deller répond en anglais et des sous-titres français sont disponibles, de même que de l'espagnol et de l'allemand en voice over.
Gilles Delatronchette

































