Certains ont un chemin pavé de roses. Petit cousin du chef d’orchestre Zubin Mehta, Bejun débute comme sopraniste, puis, l'adolescence aidant, il se tourne vers le violoncelle sous la houlette du colosse Janos Starker avant de revenir au chant sur les conseils de… Marylin Horne.
Mais il ne suffit pas de naître avec une cuillère en argent dans la bouche, il faut aussi savoir s’en servir. Et là, force est de constater que, non content de bénéficier d’un héritage musical pour le moins solide, le jeune Mehta n’a besoin de personne pour nous impressionner. Mieux, pour nous conquérir.
Pour preuve, cet enregistrement, qui sacrifie toutefois au rite un peu lourd du récital de soliste, véritable ferment soporifique d’autosatisfaction et d’autopromotion, mais véritable nécessité commerciale dès qu’un artiste devient un tant soit peu "bankable".
Fort de ses multiples expériences (et déceptions) en la matière, le critique musical, qui n’en demeure pas moins mélomane et humain, ne peut s’empêcher d’envisager la chose en traînant quelque peu les pieds à la perspective d'un énième programme complet de roucoulades haendéliennes à n’en plus finir…
Et de s’apercevoir qu'en l'état, il y a aussi beaucoup de plaisir à se tromper ! Non seulement la technique du candidat est impeccable, impressionnante de virtuosité, d’une assise parfaite, mais encore l’émotion passe, transpire à tout instant de la moindre note dans une gourmandise contagieuse. Les mots, les sonorités, les ornements : le chanteur ne débite pas, il est habité.
Un DVD plaisant mais bien léger
Le programme Ombra Cara est accompagné d'un DVD proposant un making-of de 15' en anglais sous-titré en français.
Sans apporter une dimension importante à la beauté du disque car peu disert sur le véritable travail en amont de l'enregistrement, de sympathiques images nous font partager une certaine réalité du travail en studio. L'admiration de René Jacobs pour Bejun Mehta ne fait aucun doute. Toutefois, l'éloge par les mots, même totalement justifiés, ne saurait être aussi puissant que cette connivence palpable qui réunit les deux artistes dans la musique.
La caméra de Nayo Titzin, qui a assuré également un montage des images fort musical, s'attarde sur les visages, les expressions, mais aussi la gestuelle qui accompagne la voix. Regarder Bejun Mehta bouger en même temps qu'il chante montre comment le corps se plie à la volonté de maîtrise des nuances.
René Jacobs explique du reste les exigences vocales de l'époque Baroque et, en particulier, l'exigence portée sur la douceur de l'aigu, ce dont peu de contre-ténors sont capables. Les images nous montrent à ce titre un splendide exemple de parfaite maîtrise.
Quelques trop brèves images de concert sont en outre présentées au côté de celles de l'enregistrement.
Le making-of se termine, comme le programme du disque, avec le duo "Per le porte del tormento" de Sosarme, pour lequel la soprano Rosemary Joshua rejoint le studio.
Un CD incontournable
Sous la conduite éclairée de René Jacobs – qui a fait les beaux jours de l’intégrale mythique des Cantates de Bach sous la direction de Gustav Leonhardt -, le texte et les notes prennent vie et nous parlent à l’intérieur d’un discours, grâce à une rhétorique sans cesse en action. De fait, qui mieux qu’un contre-ténor peut comprendre un autre contre-ténor. Et René Jacobs, à n’en pas douter, a trouvé en Bejun Mehta l’interprète idéal. Il en résulte une harmonie, voire une fusion des timbres comme rarement entre l’orchestre et le chanteur. Les cordes chantent littéralement. Elles ne doublent pas la voix mais forment un duo avec elle, dans un corps à cœur parfaitement maîtrisé. Un pur bonheur sur le plan émotionnel qui s'associe au sentiment d'avoir probablement atteint le sommet que visaient les traités de l’époque baroque.
Et le duo orchestre/soliste devient trio quand la soprano Rosemary Joshua - qui a souvent travaillé avec Jacobs - se joint à la fête pour un Sosarme désarmant, quasi miraculeux, comme suspendu, témoignant d’une communion parfaite entre tous les protagonistes.
Voilà un merveilleux programme pour découvrir cet interprète de tout premier plan qui permettra, en outre, à ceux qui le connaissent déjà d’en apprécier plus encore les multiples et incroyables talents.
Le DVD apportera un sympathique complément à cette réussite musicale, à défaut de se montrer aussi complet que nous l'aurions espéré.
À noter : Ombra Cara est proposé en digipack à l'intérieur duquel se trouvent un CD, un DVD et un copieux livret.
Jérémie Noyer



































