Ce qui frappe d’emblée avec la musique de Kaija Saariaho pour L’Amour de loin, c’est l’accessibilité du langage musical. Dès les premières mesures du long prélude d’introduction, on se trouve plongé dans un magma musical à la fois chaleureux et sensuel. L’orchestre est utilisé avec une grande transparence où le pupitre des bois est particulièrement sollicité.
Une structure sonore, fait d’une pédale harmonique qui sous-tend le langage traverse l’opéra de part en part et ne manque pas d’engendrer tant son unité qu’une certaine monotonie (l’attente, probablement recherchée).
On remarque aussi que Jauffré (ténor) chante sur un registre réduit de sa tessiture, où seules quelques notes sont privilégiées et constituent comme sa signature musicale.
L’intervention de matériel électronique est subtilement intégrée à la matière sonore, on ne la remarque pas, elle passe volontairement inaperçue.
L’opéra de Kaija Saariaho (née en 1952) fait preuve d’économie de moyens : un grand orchestre symphonique certes, un chœur mixte aussi, mais seulement 3 rôles chantés : le couple (soprano et ténor) et le pèlerin (mezzo soprano) qui les révèle l’un à l’autre. Le drame lui-même fait l’économie de détours d’action qui mettent immédiatement en relief la dimension philosophique de cet amour lointain, impossible, inaccessible qui ne trouve une forme d’accomplissement que dans la mort. Personne ne viendra éclairer l’énigmatique prière finale de l’héroïne :
"Seigneur […]
Ma prière s’élève vers toi qui es si loin de moi maintenant,
Vers toi qui es si loin
[…]
À présent c’est toi qui es loin,
Seigneur, Seigneur, c’est toi l’amour,
C’est toi l’amour de loin…"
Ainsi Clémence, l’héroïne, invoque-t-elle Dieu, dans la dernière scène, où l’objet de son amour, Jauffré, l’a rejointe mais meurt dans ses bras. Comment ne pas songer immédiatement à Tristan et Isolde, tant pour ce qui concerne Chrétien de Troyes, que pour Wagner ou Schopenhauer ? L’ouvrage contemporain s’inspire d'ailleurs lui aussi, d’une légende du XIIe siècle français.
Pour l’écriture du livret (en langue française) Kaija Saariaho a fait appel, pour la première fois, à Amin Maalouf, l’écrivain franco libanais, prix Goncourt de littérature en 1993. Elle renouvellera sa collaboration avec lui pour son second opéra Adriana Mater en 2005. L’écrivain a produit son livret d’après la légende qui entoure un des grands troubadours du XIIe siècle, Jaufré Rudel, Prince de Blaye.
On lui prête un amour passionné et lointain pour Clémence, Comtesse de Tripoli, ce qui lui fera entreprendre le voyage auquel il ne survivra pas. Tout à sa passion, il aura été l’auteur de nombreuses chansons pour cet "amour lointain".
La distribution du présent enregistrement est idéale. L’interprétation de Clémence par la magnifique soprano Ekaterina Lekhina domine, irradie de plénitude.
L’ouvrage, particulièrement bien accueilli par ses deux commanditaires en 2000 à Salzbourg, puis l’année suivante à Paris (Théâtre du Châtelet), bénéficiera d’ailleurs de plusieurs reprises, toutes confiées aux meilleurs interprètes d’aujourd’hui. Ceux du présent enregistrement ne leur sont en rien inférieurs et constituent un témoignage de premier ordre pour se familiariser avec la musique de la compositrice finlandaise.
À noter : Ce SACD hybride est compatible avec tous les lecteurs de CD. Pour bénéficier des pistes multicanales et stéréo encodées en DSD, il faut utiliser un lecteur SACD.
Gilles Delatronchette






























