En parallèle à la récente sortie en DVD d'un documentaire sur Sergiu Celibidache réalisé durant des répétitions d'orchestre, une rareté éditée par Arthaus Musik, voici, tout aussi précieux, le portrait musical et personnel d'une autre légende de la baguette : Carlos Kleiber. Des images d'archives alternent à un rythme soutenu les parfois très brèves interventions des personnes qui ont connu le chef et avec lesquelles il a travaillé. Musiciens, intimes, amis, proches collaborateurs pratiquent presque tous l'éloge dithyrambique à peine nuancé...
Cependant, si la qualité pédagogique de l'art de Kleiber n'engendre aucune critique valable, ses relations humaines sont quelquefois sujettes à caution, eu égard à ses rapports aux femmes ou à certaines paroles formulées face à un orchestre qui n'accepte pas de le suivre là où il entend le mener.
Le réalisateur cherche en outre à nous faire comprendre pourquoi Carlos Kleiber enregistra si peu et les raisons d'un répertoire si restreint. Les réponses données se montrent éclairantes et nous amènent à nous pencher sur la figure du père, lui-même chef d'une grande valeur, et de la mère, à la présence très forte. Cela est d'ailleurs presque paradoxal mais aussi révélateur de voir autant d'archives concernant le père que le fils !
Pourtant, au travers de ces documents visuels et sonores, le mélomane curieux approchera l'étrange phénomène qui peut se produire entre une froide partition imprimée et son incarnation sonore par le biais d'un personnage hors du commun. Même si l'ouïe seule est capable d'imaginer avec justesse l'énergie, le perfectionnisme qui se dégagent des enregistrements de Carlos Kleiber, la confirmation visuelle est là, bien présente. À ce titre, et malgré sa mauvaise qualité technique, la répétition de Tristan et Isolde dans une fosse d'orchestre nous montre un Kleiber littéralement possédé par sa musique, très souple, aux gestes larges et au visage transcendé, ne vivant que pour elle. Les musiciens d'orchestre qui ont travaillé avec lui délivrent du reste un témoignage de première main sur sa façon de parvenir à ses fins, y compris parfois sans résultat.
Le déroulement chronologique du documentaire rattache avec souplesse les étapes de la carrière du chef d'orchestre aux différentes salles qu'il marqua fortement de sa présence. L'homogénéité des impressions, même dans des contrées aussi éloignées que le Japon, renforce le sentiment d'une personnalité très attachante, mais aussi d'un certain gâchis, dû au seul tempérament de l'homme : combien de concerts annulés à la dernière minute au mépris des organisateurs, des artistes et des spectateurs ? Combien d'années perdues pour l'art à vivre en retrait de tout contact pour des raisons qui défient l'entendement ?
Conscient de sa valeur, Carlos Kleiber s'est construit une figure charismatique qui sait être proche de l'homme : même face à l'orchestre, traditionnellement peu enclin aux longs discours, son sens de l'humour et ses brillantes comparaisons verbales sont dignes du meilleur des comédiens et portent leurs fruits. Ce qui lui importait le plus était le résultat à obtenir, et le public a toujours suivi Carlos Kleiber, comme s'il le cautionnait tacitement pour l'édification de son propre mythe en assistant à chacun de ses concerts.
À noter : La voix off utilisée tout au long de ce documentaire est en anglais. En revanche, la plupart des intervenants s'expriment en allemand. Mais tous ces propos sont sous-titrés.
Nicolas Mesnier-Nature

























