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Le documentaire Un an dans la vie du chœur de garçons de Saint-Thomas de Leipzig a été réalisé à l’occasion du 800e anniversaire de la formation, appelée en Allemagne Thomanerchor, les choristes se nommant par suite les Thomaner. Roland Weise, responsable pédagogique de la chorale, proclame non sans emphase : "Cette longue histoire est fascinante par sa continuité, par ce fil qui se déroule sur 800 ans de musique, chantée autrefois par des enfants qui avaient peut-être faim et froid, que l’on envoyait faire la guerre où ils sont peut-être tombés. Aujourd’hui, les "enfants Playstation" poursuivent cette vieille tradition musicale".
La grande fierté de cette institution tient ainsi à son ancrage exceptionnel dans le temps. Le chœur a été fondé en 1212 par Thierry Ier l’Exilé, sous le règne d’Otton IV. 800 ans, vous imaginez ? Ce qui amène par exemple Oskar, 15 ans, à dire, le regard pétillant : "Quand on parle des 800 ans du chœur de Saint-Thomas, on pense : 800 ans… Mais comment ont-ils donc fait pour entretenir sa spécificité. Ça paraît impossible ! Et en même temps, je réalise que j’en fais partie et que je perpétue la tradition ! Je ferai tout pour que dans 200 ans les gens disent encore : quoi ? 1.000 ans ? Comment ont-ils fait ?".
Voici donc une année, rythmée par les saisons, dans la vie des petits choristes de Saint-Thomas. La caméra se fait tantôt discrète, tantôt plus intrusive : elle enregistre alors frontalement les confessions plus ou moins spontanées des différents membres de cette confrérie si particulière. L’objectif des réalisateurs Paul Smaczny et Günter Atteln étant bien évidemment de capter tous les moments pouvant se révéler, d’une façon ou d’une autre, habités par l’émotion.
Et si émotion il y a, elle tient surtout à l’esprit de corps. En effet, participe à chaque instant cette entraide entre les plus âgés et les plus jeunes. Les aînés apprennent aux novices les règles, les guident dans cette institution, les rassurent aussi. La fraternité est très forte. Elle se voit dans les conversations, dans les gestes du quotidien, dans les regards. Mais elle se manifeste surtout dans les moments où tous chantent ensemble. On sent alors, bien que chacun soit pleinement concentré sur "sa" musique, combien le fait d’être ensemble, de vivre ensemble, de former une communauté, peut se révéler, dans son intensité, jusque dans la musique et par la musique.
Si cette fraternité se révèle pleinement et intensément par la musique, c’est parce que l’art de vivre ensemble naît précisément de cet amour pour la musique. La chorale devient en ce sens un art de vivre en communauté rendu audible par la musique. C’est bien ainsi que la comprennent et que cherchent à la perpétuer tous les membres de cette institution, qu’ils soient petits (de 9 à 18 ans), ou grands, jusqu’aux professeurs. L’un d’eux résume ainsi : "On parle souvent de cette longue tradition, mais qu’en est-il donc de cette tradition ? La tradition musicale n’est pas la seule à [devoir être] conserv[ée]. Il faut également veiller à la vie en communauté".
Bien sûr, cette vie en communauté n’est pas uniquement constituée de musique. Elle est surtout faite de tous ces moments anodins qui forment le quotidien. Et c’est principalement ce quotidien que le réalisateur cherche à saisir : les repas au réfectoire ; l’essayage du costume, grande fierté, car il est "connu dans le monde entier" et "c’est chouette de chanter en costume" ; les messes (très) basses pendant les répétitions ; les réunions ; les conversations entre garçons ; l’intronisation dans cette institution, au cours de laquelle formules amicales et solennelles sont prononcées, à grand renfort de bonbons et sans oublier l’offrande de la chemise que chaque jeune chanteur devra porter, véritable blason ; le déjeuner, qui a lieu imperturbablement à 13h20 ; le culte qui est voué à Bach, ce qui n’est en rien surprenant, car c’est l’illustre compositeur lui-même qui a dirigé cette chorale en qualité de cantor de 1723 à 1750 ; les moments de détente, par le sport ; l’intérêt pour les jeux vidéo ; la compétition aussi, car chaque enfant veut pouvoir faire partie des "seize premiers", la liste de ceux-ci étant punaisée au mur. Or faire partie des seize premiers, ce n’est pas rien, puisque la chorale comporte cent jeunes hommes !
Parmi tous ces moments du quotidien, beaucoup sont anecdotiques. Si nous devons être arrêté par l’un d’entre eux, c’est surtout par celui où s’expriment l’émotion, les larmes, quand l’un des "bacheliers" prend congé de la chorale. Il doit quitter ses camarades, avec lesquels il a marché sur le fil tendu de la musique, dans une atmosphère en tout point semblable à celle d’un internat (le Thomasalumnat où vivent les choristes n’étant pas autre chose), partageant leurs moments de doute, de joie, de tristesse aussi. De solitude. Le climat est très solennel. Des fleurs recouvrent la dalle portant le nom de Bach, qui se trouve dans l’église Saint-Thomas où se tient la "cérémonie". Les parents sont présents, bien sûr, en grande tenue, et sur leurs visages se lit, même imperceptiblement, la grandeur de leur fierté.
Attentive à l’émotion, la réalisation cherche également à enregistrer le ressenti de chacun des participants, dans la mesure du possible. Ainsi, sont captées la joie et la fierté de Johannes, 9 ans : "On ne sait pas ce que réserve l’avenir. Mais, bien sûr, je suis heureux d’avoir réussi mon examen d’entrée au chœur de Saint-Thomas. En fait, ça a toujours été mon but". Et la caméra de se tourner vers les parents pour enregistrer leur… angoisse. Ainsi, l’inquiétude des parents face à leurs enfants qui doivent vivre loin d’eux, en relative autarcie, est sensible, surtout au travers de la confession des mères. La mère du petit Johannes confesse ainsi : "Au début, j’étais sûre que je ne voulais pas de ça. Je ne voulais pas abandonner mon enfant. Mais il s’entêtait, et je me suis souvenue que déjà tout petit, il chantait tout le temps. Alors, je ne pouvais pas m’y opposer, je devais plutôt le soutenir. Mais ce n’est pas facile. J’ai un peu l’impression de l’abandonner". On le voit, cette inquiétude parentale est toujours transmuée en acceptation, car parents et enfants ont conscience de participer à quelque chose d’exceptionnel : l’enfant en intégrant la chorale, et les parents en mettant tout en œuvre pour que cette intégration puisse avoir lieu.
Au visionnage de ce documentaire, on a néanmoins le sentiment que l’anecdote prime sur tout le reste. Tout le reste ? La musique bien évidemment ! Ainsi, lorsque l’émotion est enregistrée, elle demeure toujours en périphérie par rapport à la musique proprement dite. On l’aura compris, le problème premier de ce documentaire est que jamais la musique n’est évoquée. Rien, ou presque, des difficultés d’interprétation endurées lors des répétitions, rien sur le travail acharné sur la partition pour atteindre la plus grande justesse possible. La modulation du souffle, répétée jour après jour, au moyen d’exercices très précis et contraignants, la recherche d’un phrasé qui réponde le plus justement possible aux indications présentes sur la partition : Die Thomaner ne montre rien de tout cela, limitant au maximum les passages concernant la vie à la Thomasschule, sans doute pour éviter de verser dans le rébarbatif. Pourtant, rien ne saurait être plus riche que d'être spectateur de la musique en train de naître à elle-même pour atteindre sa forme juste et trouver le chemin le plus direct vers la sensibilité du spectateur…
En raison du jeune âge des chanteurs, les problèmes d’interprétation soulevés ne peuvent bien évidemment pas être du même ordre qu'avec une formation adulte. Néanmoins, le travail effectué doit sans aucun doute rester très précis, très fécond et intense, grâce aux professeurs extrêmement talentueux et tous grands pédagogues. Mention spéciale au cantor de Saint-Thomas, Georg Christoph Biller, bien qu’il ait échoué notablement dans sa direction de la Passion selon Saint-Matthieu éditée en Blu-ray et DVD chez le même éditeur. Montrer cette précision et cette intensité était indispensable non seulement pour comprendre l'élaboration de la musique dans le cadre d’une chorale, mais aussi pour saisir comment cette musique est vécue par chacun des membres de la chorale au quotidien.
À l'inverse, ce documentaire quête la moindre anecdote, le moindre moment qui pourrait émouvoir le spectateur, sans aucun recul critique, l’ensemble se présentant comme un panégyrique de l'institution. En outre, l’excellence supposée des enfants finit par devenir assommante et l’on finit par se demander si ce documentaire ne serait finalement pas une commande… C’est vraiment dommage eu égard à l'institution même.
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Matthieu Gosztola

























