Avant toute chose, signalons que ce programme a déjà été édité en DVD sous label TDK, distribué en France par Intégral Distribution.
Les quinze lieder choisis suivent une progression intéressante, passant de la lumière terrestre à la lumière céleste. La légèreté teintée de naïveté populaire d'un Frühlingsmorgen (Matin de printemps) – composition de jeunesse d'avant le Wunderhorn -, avec trilles d'oiseaux, simplicité rythmique et mélodique est une bonne introduction et une bonne mise en voix. L'humour arrive avec Ablösung im Sommer (Relève de la garde en été), écrit dans la même veine naturaliste avec son chant stylisé du coucou et du rossignol. Thomas Hampson y trouve le ton juste de la légèreté et de la parodie sans sombrer dans la si facile caricature. Le pianiste touche aussi subtilement que possible son clavier transformé en chant de la nature.
Une veine plus autrichienne de Mahler vient avec Rheinlegendchen (Petite légende du Rhin), sorte de lied dansé à la manière de Johann Strauss, prolongeant l'insouciance et le charme d'une illustration musicale parfaitement adaptée au propos. L'humour un rien piquant de Lob des hohen Verstandes (Éloge de l'intelligence suprême), renoue avec la parodie animalière du coucou et du rossignol en un duel vocal choisissant l'âne pour juge. La fable cache sans doute une satire violente de l'attitude des critiques musicaux envers la musique de Mahler. De là à les comparer à des ânes aux longues oreilles, il n'y a qu'un pas que Thomas Hampson ne franchit pas avec l'effet imitatif facile du "hi-han" final.
Avec Des Antonius von Padua Fischpredigt (Le sermon de Saint Antoine de Padoue aux poissons), scherzo chanté de la Seconde Symphonie, l'ambiance douce-amère persiste dans ce lied lent à interpréter "à l'aise, avec humour". Encore une fois, le talent pianistique de Wolfram Rieger, tout en successions fluides de doubles croches continues, s'invite avec plaisir.Les trois lieder de jeunesse suivants appartiennent au premier Wunderhorn.
Aus ! Aus ! (Fini !) dégage une saveur populaire où flotte la parodie plaintive de même que dans Starke Einbildungskraft (Puissance de l'imagination), où l'humour est ouvertement demandé au chanteur, ce dont le baryton s'exécute avec la plus grande simplicité. Avec l'arrivée de Zu Strassburg auf der Schantz (Sur les remparts de Strasbourg), une marche lente au sujet militaire, commence une autre thématique très mahlérienne : celle de la mort.
L'accompagnement devient alors plus orchestral et descriptif, avec ses effets réalistes de cor des Alpes initial, de fanfare et de roulements de tambour. Revelge (Réveil), avec son refrain des soldats qui passent ("Tralali"), est une vaste fresque hantée de rythmes obsédants illustrant la tragédie de la guerre. Der Tambourg'sell (Le petit tambour) parle d'une condamnation pour désertion. Mahler y multiplie les indications expressives, véritables guides interprétatifs auquel doit se plier l'interprète s'il veut en rendre parfaitement l'émotion : les "plaintif", "étouffé", "comme un cri" ne sont pas des inventions de Thomas Hampson qui évite encore une fois le caricatural.
Pendant deux lieder encore le thème militaire reste un terrain propice à l'évocation de l'amertume et du désespoir nés de l'impossibilité d'une rencontre entre l'homme privé de liberté et sa femme dans Lied des Verfolgten im Turm (Chanson du prisonnier dans la tour) et le magnifique Wo die schönen Trompeten blasen ? (Où soufflent les jolies trompettes ?), superbe de retenue vocale, véritable poème symphonique en miniature aux fortes évocations naturalistes de sonneries de cor et trompettes, ou de triolets pour les tambours. Le passage en berceuse y est traité avec la plus grande délicatesse, la plus grande retenue.
La violence de Das irdische Leben (La vie terrestre), évocation crue d'une mort annoncée, tranche considérablement avec le lied précédant : toute la puissance vocale de Thomas Hampson est mise à contribution dans les cris de plus en plus déchirants de l'enfant mourant de faim.
Enfin, en guise de conclusion, Das himlische Leben (La vie céleste), finale de la Quatrième Symphonie et Urlicht (Lumière primordiale), avant-dernier mouvement de la Deuxième Symphonie ramènent la paix dans "le ton d'un enfant qui se croyait au paradis" (Mahler).
Le visage expressif de Thomas Hampson est visiblement habité par la musique. Son corps statique, les bras presque immobiles, n'empêche donc pas une théâtralisation discrète de textes très riches et d'une musique où tout leur contenu trouve une expression sublime. La voix visiblement dans toute sa forme passe sans difficulté aucune de la note la plus douce et la plus grave à l'aigu le plus puissant. Son infinie palette de nuances associée à une clarté de la prononciation tout à fait remarquable trouve en Wolfram Rieger un compagnon musical de premier ordre, très engagé dans un discours pianistico-orchestral dépassant le cadre du simple accompagnement. Les nombreux gros plans sur son visage ravi en disent long sur un évident engagement et sur un plaisir de jouer non dissimulé.
Nicolas Mesnier-Nature