En 2005, l’Opéra Royal Covent Garden de Londres lui passe commande d’un opéra, The Minotaur, ouvrage qui voit le jour en 2008 sous la direction de l’actuel directeur musical de l’institution Antonio Pappano.
L’œuvre se réfère naturellement au Minotaure Astérios de la mythologie grecque, monstre à tête de taureau et corps d’homme. Enfermé en Crète, dans le célèbre labyrinthe conçu par Dédale, il y sera finalement tué par Thésée à l’aide d’Ariadne et du fil salvateur qui lui permettra de retrouver son chemin.
L’écriture vocale de cet opéra en 13 tableaux relève d’un matériau atonal sobre, lisible, lyrique et nostalgique d’une surprenante sobriété s’agissant d’Harrison Birtwistle. La pâte orchestrale n’est jamais écrasante. Au contraire, elle brille de couleurs multiples au milieu desquelles le saxophone alto, qui se joint souvent au chant d’Ariadne, ajoute un relief particulièrement poétique. Le verbe, la projection du texte en est d’autant plus accessible et foncièrement intelligible. Ce n’est pas là la moindre de ses qualités.
L’orchestre fourni nous offre une palette de sonorités tour à tour sombres (les cordes graves, clarinettes basses, contrebasse, bassons, contrebasson, la percussion, les masses cuivrées) et colorées (notamment les bois aigus, le cymbalum), toujours denses et qui font entendre sans les effacer les uns les autres, tous les détails alchimiques de la composition. Ça et là intervient l’électronique pour l’amplification de voix parlées, notamment, aussi discrètes qu’efficaces.La production de Stephen Langridge est une succession de tableaux plus somptueusement réglés dans l’espace, les uns que les autres. Sobre et efficace, elle est parée d’une lumière d’une exceptionnelle beauté, tantôt froide voire glaciale, tantôt colorée des plus belles palettes du halo solaire. Le plateau dans son ensemble offre une harmonie visuelle de tout premier ordre, qui nous permet une écoute concentrée et apaisée de la partition pourtant complexe dans son essence. Le contraste est d’autant plus saisissant quand apparaît l’arène des sacrifices humains, conçue comme celle d’une corrida, où bientôt le sang et les cris des sacrifiées comme ceux des affamées de chair se font entendre. L’ombre de la mort, ou plutôt des morts, envahit alors la scène où le noir et le sang se confondent et se mêlent sauvagement. Chaque costume est parfaitement réussi, sobre, d’une grande et belle élégance inspirée en premier lieu des tuniques antiques.
John Tomlinson campe un minotaure hallucinant autant qu’halluciné. Sa puissance vocale, son timbre spécifique de basse (profonde parfois) font de cette mystérieuse rugosité chantante qui le caractérise, un des éléments forts de toute la production. Ils contribuent savamment au surnaturel de son personnage mi-homme mi-animal auquel un troisième état, ici inventé, s’ajoute : celui d’animal parlant dès lors qu’il commence à prendre forme humaine et que son visage se révèle en clair-obscur à l’intérieur du masque cornu. La prestation de Tomlinson est superbe de part en part !
Face à lui, l’ardente Ariadne de Christine Rice, offre un chant d’une grande sobriété qui mêle clarté et acuité. La fraîcheur et la beauté de son timbre contribuent à porter l’élégance souveraine de son personnage.
Johan Reuter, le baryton de la distribution chante Theseus. Sa voix jeune et pleine d’ardente vigueur donne un caractère particulièrement mordant à son personnage. Diction exemplaire, ligne vocale claire, limpide, sa prestation est là aussi une vraie réussite.
À noter également l’incroyable intervention du haute-contre Andrew Watts, particulièrement impressionnant en Prêtresse-serpent.
Philip Langridge chante enfin le rôle du prêtre Hiereus grâce auquel on comprend les onomatopées de la prêtresse. Ce sera hélas la magnifique et dernière apparition à l'image du ténor britannique disparu le 5 mars 2010. Nous tenons à saluer la mémoire d’un artiste lyrique exceptionnel, au métier unanimement reconnu et apprécié, qui a chanté tous les répertoires et y fut, en tout temps, exemplaire.
Les Kères (ces Walkyries de la mythologie grecques), les cinq innocents et la foule assoiffée du sang des sacrifiés forment le chœur antique au sein de l’opéra de Birtwistle.
Cette représentation de Londres reçoit un immense succès auquel nous nous joignons sans retenue. L’ouvrage nécessite plusieurs lectures et écoutes, comme c’est souvent le cas pour la musique contemporaine mais, d’emblée, sa poésie et la splendeur de sa conception nous apparaîssent comme une évidence.
Gilles Delatronchette