Avec Renée Fleming comme guide touristique, la caméra de Brian Large brosse un aperçu de Saint-Pétersbourg d'une vingtaine de minutes au total, parcourant lieux et monuments incontournables de la Venise du nord. Le commentaire de la chanteuse, plutôt banal, ponctue le programme musical lors de brèves interventions. Extérieurs et intérieurs assurent ainsi une forme de liaison entre les extraits musicaux proposés dont certains sont enregistrés dans le cadre des palais loussoupov et Peterhof, présentés par ailleurs.
La présence de Verdi peut paraître incongrue dans un programme centré sur des compositeurs russes. On rappellera cependant que ce dernier fut sollicité par la ville de Saint-Pétersbourg pour la commande de La Force du Destin, opéra qui y fut créé en 1862. Ce n'est pourtant pas un extrait de cette œuvre que nous entendrons mais deux duos tirés du Trouvère, l'éprouvant "Ah! Dove sei" de l'Acte IV, et la Scène de la reconnaissance de Simon Boccanegra tirée de l'Acte I.
Reconnaissons-le, la soprano américaine Renée Fleming et le baryton russe Dmitri Hvrostovsky, forment un couple scénique très glamour : grandes robes et bijoux de goûts, smoking, nœud papillon et chevelure blanche romantique… Le duo fonctionne.L'attirance-répulsion du Trovatore, le rapprochement père-fille de Simon Boccanegra et la scène finale déchirante d'aveu et de rupture amoureuse d'Eugène Onéguine sont scénarisées avec discrétion et efficacité. Comme toujours, Renée Fleming vit ses rôles même en dehors d'une grande scène d'opéra. On restera confondus devant tant d'aisance vocale, d'aigus superbement amenés et tenus, d'expressivité et de nuances dénuées de toute mièvrerie ou d'efforts apparents. L'émotion prend rendez-vous à chaque note, voyage sur chaque phrasé. La prononciation demeure claire à tout moment. Forte de toutes ces qualités, l'entente avec son partenaire ne peut qu'être parfaite.
En effet, Dmitri Hvorostovsky possède de semblables capacités conjuguées au masculin. De plus, il a la carrure et la puissance physique des grandes voix graves russes. L'émission est charnue, charnelle ; le souffle énorme, ce qui lui permet toutes les expressions générées par les grandes figures romantiques qu'il incarne. Son absence de vibrato donne une belle ligne au son, assuré d'une belle homogénéité et d'une bonne plastique.
La partie centrale du concert apporte de la variété au programme en proposant six mélodies russes, chaque interprète accompagné par son propre pianiste. Capté dans le très petit théâtre privé du Palais loussoupov, l'exercice difficile et exigeant de la mélodie y trouve un cadre propice à une certaine introversion des sentiments. Sommet absolu d'émotions : la très nostalgique et très connue Mélodie op.4 n°4 de Rachmaninov, pour laquelle le public, transcendé par sa nostalgie insondable, reçoit de plein fouet l'empathie musicale de Renée Fleming.
Les pianistes, tout comme le chef Constantine Orbelian, ne s'illustrent pas, tout au long de ce concert, par une présence extraordinaire. Ils assurent le minimum vital, ce que d'ailleurs on leur demande, tout à l'écoute et au service de leurs solistes. Ceux-ci possèdent d'ailleurs une telle personnalité qu'elle se suffit presque à elle-même.
Cette réalisation disponible sur DVD va à la rencontre d'un public éclectique qui ne pourra qu'être satisfait de visiter l'ancienne capitale de Pierre le Grand tout en découvrant les richesses de l'art vocal slave.
Nicolas Mesnier-Nature