L’orgue a toujours été un instrument difficile à domestiquer. Déjà peu aisé d’accès, il demande une coordination maximale de tous les membres de ses interprètes, coordination qui se trouve même totalement exploitée comme en témoignent des œuvres comme les Sonates en trio de Johann Sebastian Bach.
C’est aussi un instrument qui se laisse difficilement capter. On l’enregistre le plus souvent de nuit, dans des églises, en priant pour qu’une mobylette solitaire et pétaradante ne vienne point ruiner le silence vespéral. La chose est plus facile quand l’instrument trône dans une salle de concert, mais dans tous les cas, la vacuité et l’ampleur du lieu n’en posent pas moins de nombreux problèmes aux ingénieurs du son.
Tandis que nos oreilles européennes sont habituées à écouter la musique d'orgue dans de grands vaisseaux réverbérants, l'ingénieur du son Keith O. Johnson a préféré une captation plus rapprochée et donc plus sèche. Une option intéressante pour la proximité de l’instrument, mais pas forcément idéale de par l’exigence quasi intenable qu’elle impose dans le jeu. Certes, l'instrument conçu par les facteurs d'orgues québécois Casavant Frères choisi pour ce programme exclusivement français, ce qui est courageux aux États-Unis, possède un véritable "je ne sais quoi" hexagonal. Mais cette proximité révèle également les quelques limites de cet instrument : une relative étroitesse de timbre, un léger manque d’épaisseur, de rondeur, renforcé par des mixtures (jeu brillant) surabondantes que l’organiste aurait pu laisser à un autre répertoire que le symphonique français.
Il est vrai que Jan Kraybill ne prétend aucunement à l’authenticité et c’est sans doute pour justifier le titre de son album qu’elle s’est aventurée à plusieurs réinterprétations parfois surprenantes assez éloignées des prescriptions des compositeurs eux-mêmes. Ainsi le Scherzo op. 2 de Maurice Duruflé est-il carrément déséquilibré, avec des battements bien trop présents, allant jusqu’à occulter la mélodie principale, alors qu’il aurait été tellement simple de profiter des deux boîtes expressives de l’instrument. À cette fantaisie dans la registration s’oppose un sérieux, voire une raideur dans l’interprétation. Refusant de céder aux sirènes de cette acoustique sèche qui aurait pu inviter à une virtuosité débridée, les tempi choisi par Jan Kraybill sont souvent très "raisonnables", tandis que l’articulation est souvent généralement mécanique et finalement bien peu impressionniste.
Une acoustique plus réverbérante aurait à elle seule atténué cet aspect, ce qui nous interroge sur la pertinence, soit de ce type de captation soit du répertoire choisi. C’est le cas notamment dans les Pièces de fantaisie de Louis Vierne, et surtout dans la Pièce héroïque de César Franck, la vraie déception de ce programme, ennuyeuse à souhait, voire carrément hors sujet.
Alors, oui, ce programme reste un bel hommage et une belle démonstration. Et puis, il y a aussi des surprises, avec des pièces très rarement voire jamais enregistrées, telles ces Variations de concert de Joseph Bonnet et la Prière de Florent Schmitt présentée ici en première mondiale, ainsi que de jolis moments de poésie avec voix célestes et autres gambes éthérées… Mais tout cela est contrebalancé par des tutti par trop gras, et surtout on est loin de la polychromie annoncée.
Ceci étant, il est à craindre que les critiques américains puissent faire le même genre de remarques en nous entendant jouer leur propre répertoire…
À noter : Ce disque a été enregistré avec le procédé d'encodage-décodage de Microsoft HDCD qui permettra avec un lecteur CD équipé de la puce nécessaire un gain en résolution notable de l'écoute, ainsi qu'une meilleure spatialisation. Cet encodage garantit en outre la compatibilité du disque avec un lecteur CD non HDCD et l'absence de distorsion audible lors de la reproduction. Toutefois, ce CD est tout à fait compatible avec un lecteur normal.
Jérémie Noyer