Le diaporama qui accompagne l'Ouverture nous situe en un éclair à San Francisco, durant l'exposition internationale de 1915. Cette idée originale rend la version d'Helgi Tomasson immédiatement intéressante, là où bien des mises en scènes prêtent à la somnolence. La reconstitution de l'époque dans un milieu familial chaleureux est un vrai bonheur lisible sur les visages des danseurs.L'oncle Drosselmeyer, véritable ordonnateur de ce conte de Noël, jeune et dynamique sous sa perruque grise, donne du reste le ton dès le lever de rideau : ce Casse-Noisette se distingue vraiment par son énergie. Les personnages de l'Acte I - enfants et adultes - sont naturels tant dans leur jeu que dans les danses, très bien intégrées au récit. Les décors de Michael Yeargan, mi-construits, mi-peints avec délicatesse participent du reste au charme enfantin mais non mièvre de l'ensemble. La jeune et très jolie Clara étonne ainsi par le naturel de son jeu, comme les autres enfants, élèves de l'école du San Francisco Ballet.
Le moment où Clara se trouve emportée dans un monde de fantaisie est un bien beau passage : le sapin grandit tandis que de gigantesques objets envahissent la scène. Puis prend place le combat entre l'armée des soldats dirigée par le Casse-noisettes et le Roi des souris, un modèle de dynamisme et d'inventivité auquel les masques animaliers réussis participent pleinement.
Le Prince incarné par Davit Karapetyan, que nous découvrons alors, n'est pas à proprement parler le prince de conte attendu mais un personnage bien plus réaliste à la belle prestance, doublé d'un bon danseur.
Mais voilà, après une jolie Valse des flocons qui se termine en beauté sous la neige, dès que débute l'Acte II, c'est paradoxalement un peu de magie qui s'en va alors que l'histoire est censée nous plonger dans un monde féerique. Paradoxe sans doute explicable par le charme qui se dégage d'un Acte I plus réaliste, pleinement réussi, et le peu de magie qui s'invite à l'Acte II, à commencer par les décors très dépouillés et peu colorés.
L'ouverture de l'Acte II, avec ses ridicules enfants-fleurs, fait en outre un rien "patronage". Que diable une telle initiative vient-elle faire ici ?
La Danse espagnole nous replonge heureusement dans un spectacle finement chorégraphié et souvent inventif. La belle Danse Arabe et son génie sorti d'une lampe, la Danse chinoise et son dragon de Nouvel An et la fantaisiste Madame Ducirque et ses ours dansants confirment le regain d'intérêt pour une chorégraphie fluide et musicale servie par des danseurs convaincants, même si la Valse des fleurs paraît vraiment bien conventionnelle.
La transformation de Clara en ballerine nous permet d'apprécier Maria Kochetkova dans le beau Grand Pas de deux classique dansé avec le Prince Casse-noisette, excellent partenaire.
La valse finale de l'acte permet de retrouver tous les personnages croisés dans le pays imaginaire dans une succession énergique qui précède la fin du ballet. Une belle image d'amour familial conclut enfin le retour de Clara à la réalité et la représentation.
Le San Francisco Ballet Orchestra s'avère globalement de qualité si l'on passe sur le déraillement de quelques violons dans le Grand Pas de deux de l'Acte II, et la réalisation de Matthew Diamond permet de profiter au mieux de ce Casse-Noisette filmé au War Memorial Opera House.
Philippe Banel