C’est en septembre 2009 que s’ouvrait ce que l’on peut considérer comme une nouvelle ère pour l’Opéra National de Paris.
Même si l’on comptait tout de même nombre de reprises au programme, Gérard Mortier laissera sans doute le souvenir d’une recherche de l’originalité, principalement autour du répertoire du XXe siècle.
Cela dit, cette recherche que l'on peut qualifier de "médiatique" a engendré une relative perte d’identité pour l’opéra français.
La nomination de Nicolas Joel à la fonction de Directeur annonçait quant à elle un resserrement autour d’une identité plus marquée.
D’aucuns diront plus traditionnelle…
Témoin cette Mireille, critiquée lors de sa création le 14 septembre 2009 au Palais Garnier pour son côté "vieille France", extrêmement conservateur.
Cette version de l’opéra de Gounod nous est aujourd’hui proposée par le label FRA Musica en Blu-ray et en DVD dans un contexte relativement dépassionné qui invite à davantage de nuances.
Reconnaissons que Charles Gounod n’est certes ni le plus avant-gardiste des compositeurs, ni Mireille nécessairement son plus grand opéra.
Il n’empêche que le compositeur est parvenu à donner musicalement chair au conte de Frédéric Mistral sans jamais recourir à la caricature.
Il utilise avec parcimonie le patrimoine musical provençal, et se concentre surtout sur l’esprit, avec simplicité, légèreté mais également tension dramatique et profondeur dans les deux derniers tableaux.
Une sorte de retour à la terre, un Regain, comme Jean Giono et Marcel Pagnol ont su l’écrire puis le filmer au début du XXe siècle, en 1937 plus précisément.
Dès lors, on pourrait très bien considérer cette programmation comme un retour en arrière sous ses airs de querelle de village avec sa sorcière et ses bondieuseries, sans oublier ses décors champêtres débordants d’épis de blé, un ressort qui a décidément les faveurs des théâtres si l’on se souvient de la production d'Otto Schenk d'un certain Elixir d’amour dans les bottes de foin ou plus récemment du Fairy Queen de William Christie.
Mais est-ce si terrible de renouer avec un répertoire oublié ?
Avec un patrimoine, avec ce qui fait notre identité musicale et culturelle au sens large ?
Cela pourrait l’être si une modernité tout actuelle n’accompagnait pas cette démarche.
Et cela s'impose à nous à travers le choix de Marc Minkowski pour animer cette partition.Pour "historique" dans son exécution et sa philologie, son approche apporte en fait une vraie modernité à Mireille dans la mesure où elle débarrasse l'œuvre du "vernis" de toutes les exécutions "romantiques" qui l'ont précédée pour revenir à la vivacité originelle de la partition.
Vivacité est bien le mot de circonstance.
Sous la baguette du chef attitré des Musiciens du Louvre-Grenoble, les timbres de l’orchestre de l’Opéra de Paris prennent un piquant inédit.
Avare de vibrato, l’ensemble revêt en même temps une précision remarquable, avec des contours très clairs, voire limpides, des arêtes saillantes, mais sans jamais ni brutalité ni grossièreté. Le risque est pourtant grand de faire dévier ce genre de partition vers le "pompier".
À l’inverse, le lyrisme de Marc Minkowski se veut naturel, quitte à tendre vers une retenue qui n’est autre qu’une pudeur toute méditerranéenne.
Que dire maintenant du plateau vocal ?
Tout d'abord, à l’instar de ce que nous explique le chef dans l’interview proposée dans les bonus, il faut trouver pour Mireille non pas une soprano spécialiste de la pyrotechnie, mais une voix à la fois jeune et mûre susceptible de laisser parler l’émotion avant tout. Le choix d'Inva Mula paraît alors pertinent sur le papier, d’autant plus qu’elle avait fait forte impression dans le rôle de Marguerite de Faust du même Gounod, à Orange en 2008, mis en scène par le même Nicolas Joel.
De fait, sa technique est sûre, la voix bien assise, avec une projection maîtrisée.
Mais dans le même temps, on a le sentiment qu’à force de vouloir faire passer le sentiment, la soprano tend plus à le représenter, à le décrire qu’à le vivre.
Certes, il y a quelque chose de très français dans tout cela, avec cette distance qui caractérise notre école, tant dans l’art dramatique que le chant.
Mais pour le rôle de Mireille, il fallait faire passer plus de choses dans une relation directe, authentique avec le public, ce qui n’est pas vraiment le cas ici.
Non que la chanteuse soit en méforme - sa performance dans le second tableau de l’Acte IV, tandis qu’elle tient seule la scène, est même impressionnante d’intensité -, mais la modernité de l’orchestre, tout acquis à la cause du chef, ne trouve pas son pendant sur scène.
Il en est d'ailleurs de même pour l'ensemble des chanteurs qui restent plus "classiques" dans leur interprétation.
Si le Vincent de Charles Castronovo se montre sympathique à travers un timbre prometteur aux aigus délicatement suaves, là encore le contrôle un rien trop appuyé de la voix empêche littéralement l’envolée de l’émotion.
Cela ne colle pas tant du point de vue du sentiment que du phrasé et des couleurs vocales.
Peut-être est-ce là tout le génie – et la difficulté - de cette œuvre, que de demander des artistes réellement habités par son univers et par sa cause.
Cela posé, le casting vocal réserve néanmoins quelques belles surprises, à commencer par la Taven superbe de Sylvie Brunet, au timbre légèrement guttural qui apporte une véritable originalité et dont le jeu subtil rend le personnage attachant, au-delà de l’image de la sorcière du village.
Le Ourrias de Frank Ferrari n’en devient que plus crédible.
Les couleurs sont là.
La puissance contenue aussi, sans compter le regard qui dit ce que la voix ne dit pas.
Un vrai jeu d’acteur, un véritable art du chant, une personnalité accomplie. Son Ourrias convainc et nous ferait presque regretter de le voir partir entre les mains du passeur !
Côté réalisation, l’on est également partagé.
Certains décors d'Ezio Frigerio à la composition classique mais bien pensée permettent une approche quasi cinématographique (montée de Vincent dans les champs à l'Acte II ou encore montée au Calvaire dans l’Acte IV), mais la volonté d’épure de Nicolas Joel pose clairement problème au réalisateur quand les décors sont de grands à-plats comme la scène dans le désert de la Crau et qu’il n’y a qu’un personnage à filmer.
D’où une succession de gros plans pour habiter voire animer l’image tandis que l’on alterne avec des plans larges où il ne se passe rien du tout !
Défi de taille pour François Roussillon qui réussit néanmoins à trouver un équilibre entre les pleins et les vides sans nous donner le vertige.
Cette production inégale aurait certainement demandé un travail encore plus en profondeur du point de vue de l’interaction et de la communauté de vision entre orchestre et chanteurs, à l’image de ce que Marc Minkowski a l’habitude de produire avec son ensemble.
La démarche mérite cependant le détour à défaut de susciter l’enthousiasme.
Jean-Claude Lanot