Drame absolu sur l'impossibilité de vivre selon son cœur, Madame Butterfly a su séduire depuis 1904 des générations de mélomanes et d'artistes sensibles à la fois à sa thématique extrême et à son orientalisme assumé - un potentiel aussi fort du point de vue musical que visuel. Ce n'est donc pas une surprise de constater que le cinéma, de Fritz Lang à Frédéric Mitterrand, s'est intéressé de près à cette œuvre marquante du XXe siècle.
Une production des plus réussies
La présente mise en scène a été originellement créée pour l'English National Opera en 2005 et a été reprise ici avec bonheur par le Metropolitan Opera. On notera en tout premier lieu son économie de moyens, qui tranche avec les habituelles productions de l'institution new-yorkaise, soit des à-plats de couleurs saturées pour seuls fonds de scène qui permettent à eux seuls d'illuminer des décors minimalistes où dominent le noir et le blanc à la manière des paravents qui structurent et ornent les maisons traditionnelles nipponnes.
Du point de vue de la direction d'acteurs, c'est aussi l'économie de moyens qui prime, avec des gestes rares, mesurés, un certain hiératisme qui donne de la grandeur à l'ensemble, mais également une retenue qui exprime avec dignité tout le pathos de ces personnages. Seul un miroir fixé au dessus de la scène nous permet de voir ce qui ne se montre pas, à savoir les attitudes et les émotions des personnages "en privé", avant que ceux-ci se comportent en fonction de ce qu'ils veulent laisser paraître sur la scène de la vie.
On retiendra également, pour le fils de Cio-cio-san et Pinkerton, l'utilisation d'une marionnette "Bunraku" (théâtre traditionnel japonais) demandant trois manipulateurs masqués au talent impressionnant. De fait, le fruit des amours de Madame Butterfly et de son officier américain ne peut être un être vivant accompli. Sa vie dépend de ceux qui le manipulent, tout comme sa mère, enfermée dans une vie qu'elle subit sans pouvoir être pleinement elle-même, sans même pouvoir accéder à une humanité dont elle finit par se priver définitivement.
Plus direct, mais ô combien poétique, est le duo d'amour de la fin de l'Acte I, avec ses lanternes et ses fleurs de cerisier, qui gravera son romantisme dans le souvenir du spectateur.
Un casting de haut niveau
L'indéniable réussite sur le plan scénographique se double d'une belle réussite sur le plan vocal. L'œuvre est naturellement dominée par le couple central qui se taille la part du lion. Domination plus qu'honorable quand il s'agit du Pinkerton de Marcello Giordani, habitué du Met. Le ténor sicilen campe son personnage avec beaucoup d'humanité, un joli timbre jamais poussé qui sait se fondre dans celui de sa partenaire, avec beaucoup d'humanité et un lyrisme maîtrisé. Et magnifique incarnation que la Cio-Cio-San de Patricia Racette, véritablement investie dans ce rôle particulièrement difficile, partagée entre le lyrisme de ses sentiments et de ses mélodies, et la retenue voire l'immobilisme de certains moments de la mise en scène. La soprano
s'est beaucoup préparée à ce rôle dans lequel on ne l'attendait pas forcément, mais qu'elle incarne avec une sensibilité et une endurance remarquables, servies par une technique très sûre et complètement absorbée. L'émotion est pure comme le souhaitait Puccini et l'expérience, avec sa présence, devient bouleversante.
Le reste du plateau se hisse globalement à la hauteur des rôles principaux et parvient à s'intégrer remarquablement tant dans la mise en scène que dans l'esthétique de cette production originale. Mention particulière à Maria Zifchak, dont la présence chargée d'humanité sert au mieux le personnage de Suzuki.
Quant à l'orchestre dirigé par Patrick Summers, il fait montre d'un bel équilibre en accompagnant au plus juste, avec présence et délicatesse, ces amours contrariées sans jamais caricaturer le délicat orientalisme d'une partition beaucoup plus subtile qu'on nous la sert quelque fois.
Tout dans cette Madame Butterfly est digne d'intérêt. Cette excellente captation apporte une pierre magnifique et nécessaire à la discographie/ viéographie de tout amateur d'opéra.
Jean-Claude Lanot