Les Vêpres siciliennes ont du mal à trouver leur place dans le corpus verdien : écrit en français pour Paris, cet opéra suit chronologiquement la fameuse trilogie à succès - Rigoletto, Le Trouvère et La Traviata - dont il pâtit, et précède Simon Boccanegra. Verdi renouvellera cette expérience française avec Don Carlo, mais beaucoup plus tardivement. Avec Les Vêpres, il s'efforçait de trouver sa place dans le monde du "grand opéra" français qui servait de modèle pour le monde entier au milieu du XIXe siècle. Pour cette raison, le français et le ballet formaient un passage obligé, peu évidents pour le compositeur. Adapter aujourd'hui un grand opéra historique multiplie les problèmes qui se posent au metteur en scène. Dans cette version d'Amsterdam, Christof Loy évacue les armures et accessoires de l'an 1282, date à laquelle est censée se dérouler l'action. L'actualisation est une quasi nécessité dans ce cas précis, ce que n'a pas manqué de faire Christof Loy. Mais elle touche uniquement les costumes car de décor, il n'y a point, hormis pour accompagner le ballet de l'Acte III et une partie de l'Acte V. L'austérité atteint son paroxysme lorsque les artistes chantent devant un rideau rouge lors de certaines scènes. Quelques projections vidéo sur le mur illustrent les interludes orchestraux.
Bien souvent dans pareil cas, les interprètes ont du mal à trouver leur place et à s'investir dans leur rôle, et c'est ce qui se produit ici, atténué cependant par la présence des chœurs dont l'importance est énorme et qui remplissent l'espace scénique. Le chorégraphe Thomas Wilhelm a su les animer avec adresse, les considérant comme un personnage à part entière, ce qu'ils représentent effectivement.
On portera une attention toute particulière à l'insertion du fameux ballet intitulé Les Quatre Saisons. Si la musique ne brille pas par son originalité, force est de reconnaître que sa traduction contemporaine se montre audacieuse et assez réussie. Le chorégraphe Thomas Jonigk a pensé ce passage obligé comme une histoire dans l'histoire, permutant la chronologie en racontant la jeunesse d'Henri, ami d'enfance de Frédéric et Hélène d'Autriche, de sa mère et du jeune Montfort. Les danses apportent un humour et une légèreté bienvenus, malheureusement non dénués de caricatures grossières : le Français avec son béret et sa baguette de pain sous le bras, l'Italienne et ses seins tombants, son fichu et ses plats de pâtes ! Le spectacle est donné aux Pays-Bas, ne l'oublions pas…
Mise en scène et chorégraphie épuisent ainsi bien vite leurs faibles cartouches. Seules quelques idées dynamisent quelque peu un morne déroulement : l'humiliation des Siciliennes, l'installation du couple Henri/Hélène où celle-ci apparaît enceinte tandis que son mari pousse un landau. De plus, regrettons-le, la distribution vocale ne parvient pas à remonter le niveau.
Le rigide Guy de Montfort d'Alejandro Marco-Buhrmester peine visiblement et maîtrise mal un vibrato constant. Le tyran sanguinaire et sadique impressionne uniquement parce qu'on nous persuade, mais jamais le chanteur, bien trop sage, ne parviendra à émouvoir. Burkhard Fritz campe un Henri pas plus crédible à la voix étriquée, blanche et vite saturée. Certes, le politique prend sempiternellement le pas sur l'affectif dans Les Vêpres siciliennes, mais le duo d'amour entre Henri et Hélène laisse bien trop indifférent.
Là encore, aucune passion, aucun feu ne transparaît. La posture de Barbara Haveman n'incite effectivement pas à se jeter à ses pieds : la voix, froide à l'Acte I, prendra pourtant son essor à partir de l'Acte II dans un duo assez réussi avec Henri et son air à l'Acte IV sera franchement bien mené, avant un final qui fera entendre de beaux forte aigus. La puissance est là mais pas la fougue patriotique - son appel au soulèvement au tout début de l'opéra n'incite pas à se révolter contre l'occupant - et encore moins le désir amoureux, sauf aux derniers moments où enfin la chanteuse devient actrice. Jean Procida, l'agitateur, ne s'impose pas mieux, ni scéniquement, ni vocalement.
En revanche, on signalera l'effort porté sur une bonne prononciation globale du français, certes non dénuée de certains accents, mais compréhensible y compris dans les chœurs, ce qui est assez exceptionnel.
Paolo Carignani dirige le Netherlands Philharmonic Orchestra comme il peut avec une partition difficile à rendre vivante, empêtrée dans les académismes obligés et son livret de Scribe, véritable tâcheron de l'écriture opératique au kilomètre.
On se montrera en définitive globalement déçu devant ces Vêpres siciliennes pourtant bien rares : des voix en retrait d'où rien ne sort réellement, un jeu scénique des solistes quasi inexistant, et une partition qui est loin de résonner à l'image des chefs-d’œuvre du maître italien. Jamais nous n'aurons ici le frémissement émotionnel attendu lorsqu'on se rend à l'opéra…
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Nicolas Mesnier-Nature