Pour que Les Noces de Figaro fonctionnent, il faut que l'esprit du théâtre où cet opéra puise son inspiration ressorte dans la mise en scène, que les chanteurs y investissent leurs talents d'acteurs et que les musiciens aillent au-delà d'une belle lecture de texte, davantage fidèle à la verve mozartienne qu'au respect stricto sensu de la partition. Ces trois conditions, cette production de l'Opera House de Sydney mise en scène par Nail Armfield les remplit avec un enthousiasme qui ne fléchit nullement durant les trois heures de cette représentation enregistrée le 29 juillet 2010.Du théâtre, il y en a dans le chant, dans les décors et dans la chorégraphie.
Le spectateur appréciera dans un premier temps le bon équilibre que l'on a su trouver de manière à ne pas transformer cet opera buffa en opéra grotesque. Mozart descend de son piédestal afin que les chanteurs se réapproprient avec intelligence des airs très connus en modifiant occasionnellement très légèrement leur ligne vocale : quelques appogiatures ou une ou deux notes embellissant la ligne de chant, mais rien qui ne dérange dans l'absolu pour cette nouvelle liberté bien amenée.
Par les décors, ces Noces demeurent dans la couleur du XVIIIe siècle. Tous les superbes costumes sont ancrés dans l'époque et seuls certains éléments du mobilier actualisent les scènes. Un fauteuil en cuir rouge, un aspirateur, un fer à repasser et d'autres menus détails s'immiscent ainsi aisément dans une ambiance Siècle des Lumières sans surcharge ornementale.
Le jeu des chanteurs parvient lui aussi à dynamiser avec précision les situations invraisemblables du livret. Une certaine liberté de mouvements légèrement provocateurs dans les scènes de séductions ajoute un piment bienvenu dans ce monde de convenances et de codes sociaux contraignants. Le public réagira d'ailleurs à chacune de ces innovations de manière positive en riant fréquemment.
La direction très énergique de Patrick Summers va dans la même direction, imprimée à toute la représentation. Les récitatifs du pianoforte sont vivants, l'orchestre sonne avec beaucoup de relief sans jamais aucune austérité. Le Mozart lisse et divin est laissé aux oubliettes de la tradition et la musique accompagne avec entrain des chanteurs qui savent s'approprier leur rôle et jouer pleinement leur personnage.Dans un rôle où il est facile de surjouer, on saura apprécier un Figaro qui évite les gros effets. Le baryton néo-zélandais Teddy Tahu Rhodes arrive facilement à dominer toute l'équipe par sa voix extrêmement puissante et sonnante.
Sa compagne Suzanne, la soprano Taryn Feibig, n'a qu'un défaut : une prononciation de l'italien qui pourrait être améliorée, mais son aisance vocale supplée sans mal à ce léger inconvénient.
Warwick Fyfe est métamorphosé pour sa composition en Bartolo à la perruque extravagante, mais sa brève place au sein de la partition ne permet pas d'apprécier pleinement ses qualités. Le couple qu'il forme avec la Marcellina de Jacqueline Dark est réaliste dans l'invraisemblable : ils n'en font pas trop dans la haine et la magouille. La voix de la mezzo-soprano australienne fait malheureusement preuve d'une certaine mollesse mais on pourra trouver qu'elle convient bien à "une femme de cet âge", comme le dit malicieusement Susanna lors de leur rencontre.
Le comte Almaviva du baryton Peter Coleman-Wright est parfaitement crédible en éternel dindon de la farce qui cherche avec noblesse à ne pas perdre son rang. La voix est superbe, modulable selon les situations, variant selon qu’il s’agit d’exprimer la jalousie, la séduction, la provocation, l'agression ou l'abnégation. Ses confrontations permanentes avec Cherubino sont truculentes à souhait. Dommage que la voix de Sian Pendry dans ce rôle de travesti soit à ce point neutre et moyennement crédible dans ses montées de sève hormonales.
Dernier grand rôle féminin, la comtesse Almaviva de Rachelle Durkin émeut modérément dans un rapide "Porgi amor", mais on ne saurait lui en tenir réellement rigueur car elle s'inscrit dans la ligne directrice de "désentimentalisation" moderniste voulue et assumée par le chef. Son jeu de scène naturel convient à un personnage attifé d'une folle perruque blonde accroché aux tranquillisants.
Kanen Breen campe un Basilio très excentrique, ce que ne montre pas l'austérité de son costume. On pourra néanmoins être surpris des passages en voix de fausset dans son unique air de l'Acte IV, innovation toute personnelle qui fait pourtant son effet dans le public. Quant à la Barberine de Claire Lyon, dotée d'une voix très claire et lisse, sa cavatine passe sans émouvoir, à l'instar de la comtesse.
Don Curzio en juge valétudinaire et Antonio en jardinier fâcheux sont peut-être les seuls personnages complètement bouffes de cette production.
On s'amusera donc suffisamment dans ces Noces fort cohérentes dans lesquelles aucune réelle fausse note ne vient ternir un comique pertinent pour visionner l'ensemble de l'opéra sans fléchir ni s'ennuyer. Les personnages quittent leur aspect figé pour devenir simplement humains, les chanteurs ne cherchent pas à se voler la vedette et évitent soigneusement les effets de scène trop théâtraux nuisibles à la crédibilité de l'ensemble.
Le public n'hésitera pas à applaudir avec enthousiasme à chaque fin d'Acte, et ce même sans attendre la dernière note…
À noter : Le disque 1 propose les Actes I et II ; le second disque, les Actes III et IV.
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Nicolas Mesnier-Nature