Dès l’Ouverture, son lever de rideau et l’intrusion soudaine de la lumière, le rythme de la folle journée est donné ! On est vite conquis par ce mouvement de plateau qui nous fera passer à l'Acte I, de l’intérieur du palais au réduit sombre et crasseux de Figaro. L’espace, jusqu’au bout de la partition, sera distribué de main de maître. La lumière tantôt y jaillira ou se fera clair-obscur, mais c’est avec un art subtil et raffiné qu’elle soutiendra un plateau somptueux. Un travail d’acteur formidablement pensé et géré sera réalisé par chaque protagoniste que son rang distingue.
La distribution nous a vite conquis, elle est homogène et chaque rôle y est incarné dans l’excellence. On est frappé par la jeunesse de toute la distribution, des trois couples Comte/Comtesse, Figaro/Susana, Cherubino/Barbarina notamment, qui contribue à l’authenticité des rôles et de l’action. La dynamique étonnante des récitatifs nous laisse admiratifs pour une distribution vocale qui ne possède pas un seul artiste italien ! La verve d’Antonio Pappano doit y être pour quelque chose tant le rythme de l’action et du verbe qui l’accompagne est effréné.
Le Figaro d’Erwin Schrott possède cet aplomb viril et cette fougue qui lui donnent d’emblée une prestance assidue qui justifiera bientôt son affrontement avec le comte. Il est ici, à notre avis, autrement mieux à sa place que dans l’Escamillo de la Scala de Milan qu’on a pu voir en fin d’année 2009. Son chant est fougueux, rythmé et le débit haletant de ses récitatifs accentue constamment le caractère juvénile de son personnage.
Il forme avec la délicieuse Miah Persson un jeune couple épris de tendresse sous le charme duquel on tombe vite. Le chant de la soprano suédoise possède le naturel et la spontanéité du personnage, fait de charme et de jubilation. Elle trouve d’autant mieux le refuge le plus sûr dans les bras de Figaro qu’elle est fragilisée par l’oppression que le Comte exerce en permanence sur elle.Dorothea Röschmann est une comtesse remarquable. Elle s’affirme sans sophistication superflue grâce à sa voix d’une projection généreuse et au timbre exceptionnellement riche et chaleureux. Sa carrière l’amène déjà sur les grandes scènes du monde, mais il y a fort à parier qu’elle va bientôt s’imposer en rivale des plus grandes sopranos d’aujourd’hui. Elle est très authentique, à l’européenne, et son art capitalise sur ses propres ressources où rien n’est fabriqué ni copié sur d’illustres modèles : un atout majeur. Doublée d’une comédienne remarquable elle aussi, il y a longtemps qu’on n'a pas vu et entendu une comtesse si proche, si profondément humaine, généreuse et fragile.
Face à elle, le comte de Gerald Finley frappe par sa stature imposante sur scène et son élégance tant vocale que dramatique. Son timbre flatteur exerce immédiatement un incroyable pourvoir de séduction. Son autorité s’impose à nous sans qu’il fasse du personnage un tyran brutal ou bêtement jaloux. Au contraire, sans pour autant manquer de mouvements, il modère ses propres sentiments pour mieux les induire, les rendre lisibles au spectateur. Il en sera d’autant plus moqué quand en fin d’ouvrage, le piège viendra se refermer sur lui, et qu’il devra invoquer le pardon de son épouse.Le Chérubin de Rinat Shaham est un jeune prétendant, fragile et tendre. Pour lui comme pour les autres, l’art du costume de cette production fait preuve à la fois d’une remarquable inventivité et d’une démarche artistique accomplie.
Il forme avec la Barbarina d’Ana James, un joli couple, frais et érotique d’autant plus crédible que cette dernière n’est pas comme trop souvent, distribuée à une artiste sans relief et à voix blanche.
Comme celui de Marcelina, on entendra son air, à la fin de l’acte IV alors qu’ils sont parfois l’un ou l’autre supprimés, au regard de la durée générale fort longue de l’opéra.
Le Don Basilio de Philippe Langridge ne manque pas de piquant. Son maître de musique "perruqué", poudré et maniéré se révèle drôle en diable !
Antonio Pappano, actuel directeur musical de la Royal Opera House Covent Garden de Londres, dirige - du continuo (au clavecin) qu’il mène avec brio - avec une vitalité tout à fait stupéfiante. Sa direction ne tarit pas de poésie et de dynamisme ; les timbres des instruments d’époque (dont les cors naturels, les hautbois baroques) ajoutent une magnifique couleur, plus abrupte et pastorale à un orchestre en très grande forme jusqu’au terme de cette "folle journée", qui fait désormais date au catalogue filmé des opéras de Mozart.
Gilles Delatronchette