Déjà présent au catalogue CD ou DVD, Lady Macbeth du district de Mtsensk de Chostakovitch se trouve désormais de plus en plus présent à l’affiche de nombreuses salles dans le monde.
Le théâtre habite la partition au point de nous faire oublier que nous sommes à l’opéra auquel aucune concession de circonstances n’est faite ; en effet, on pense à Wozzeck (1925) de neuf ans son cadet (la misère de la condition humaine, l’insoumission, la révolte, le meurtre puis le suicide par noyade) sans toutefois parvenir ici à s’identifier, peu ou prou, à cette œuvre.
Les deux pièces s’inspirent d’ailleurs d’un fait divers réel.
Outre d’immenses chanteurs, leur distribution nécessite de magnifiques comédiens qui traduisent, chacun dans leur camp, les ruptures sociologiques fatales à leur propre existence.
La distribution vocale est ici fort réussie, homogène, efficace et ne présente pour ainsi dire aucune défaillance face à la redoutable partition. La Katarina de l'Américaine Jeanne-Michèle Charbonnet est solidement présente, et nous démontre qu’elle est une artiste hors du commun. Son début d’Acte I, comme son grand air de la troisième scène, n’illustre toutefois pas le meilleur d’elle-même : on déplore un vibrato quelque peu gênant sur le registre médium-aigu en nuance "forte", qui en vient assez vite à engager, voire à compromettre, la justesse. Mais cette "indisposition" se dissipera pour faire place à un chant plus homogène et mieux projeté ensuite et jusqu’à la fin de l’opéra, puisque rôle écrasant, s’il en est, elle y est présente en permanence.Face à elle, le Sergueï héroïque de Sergej Kunaev est infaillible.
On retrouve par ailleurs toute la noirceur requise pour les autres personnages dans les timbres, particulièrement sonores et à la projection vocale impressionnante, de la basse Vladimir Vaneev, dans le rôle de Boris, le beau-père de Katarina, et de Vsevolod Grivnov, ténor qui incarne Zinovy, son mari légitime qui fait une brève apparition à l’Acte I.
La production de Lev Dodin, atemporelle, s’avère particulièrement efficace. L’immense plateau du Mai Florentin est en permanence magnifiquement éclairé et l’œil de la caméra ne manque ni d’imagination, ni d’originalité (les scènes de "songe" en Noir & Blanc). L’architecture du décor tout en bois fonctionne parfaitement bien et réunit sur un même plan visuel : la fenêtre de la chambre de Katerina, la cour centrale extérieure sur le côté de laquelle se trouve la trappe vers cette cave, où le corps de Zinovi, assassiné, sera dissimulé par les deux amants.La noirceur (si l’on peut dire) est à son comble pour la scène finale, sur le chemin de la perpétuité en Sibérie, neigeux et glacial univers de désolation.
Dans la fosse James Conlon nous confirme à nouveau son goût pour le répertoire du XXe siècle (on connaît son intérêt tout spécifique pour Zemlinsky, notamment). Il anime la redoutable partition de Chostakovitch avec la plus grande conviction (et donc efficacité) possible. La chose n’est guère aisée tant l’orchestre est sonore en ce sens qu’il traduit en permanence le malaise des êtres, celui d’une société au bord de l’implosion, par une agressivité tonnante, une rugosité qui ne nous laisse guère de répit.
La percussion sèche, les pupitres de cuivres, la petite harmonie dans ses registres extrêmes, sont souvent sollicités et illustrent déjà (l’auteur n’a alors que vingt-cinq ans) l’exceptionnel orchestrateur qu’est Chostakovitch.
Sa production est déjà consistante, mais ne comporte à cette date (1930-32) que trois Symphonies (sur les quinze qu’il écrira jusqu’en 1975).
La géniale Quatrième Symphonie sera écrite trois ans plus tard, en 1935.
La présence du chef auprès des chanteurs ne fait jamais défaut et les interludes tournent parfois au déferlement sonore et rythmique ahurissant : Acte I , Scène 2 - Acte II, Scène 4 - la scène du "balourd miteux" et son prélude orchestral.
Une grande et belle réalisation que ce Lady Macbeth du district de Mtsensk. Belle tant pour la qualité incontestable de sa distribution, que pour la scène et la maîtrise remarquable du jeu des protagonistes.
Enfin pour la direction d’un grand chef d’opéra, James Conlon.
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Gilles Delatronchette