La comédie lyrique de Puccini La Rondine (1917), relate la passion amoureuse de Magda, alors maîtresse du banquier Rambaldo, pour le poète Ruggero dont elle fait presque par hasard, la rencontre dans le Paris de la Belle Époque. Elle lui ment sur sa condition de demi-mondaine, comme sur son nom. Découverte avec Ruggero par son amant au Bal Bullier, elle s’enfuit avec lui près de Nice, pour y vivre la seule vraie passion amoureuse de son existence. Prunier, un ami de Magda, s’est épris de Lisette, la bonne, et file le parfait amour avec elle. Plus tard, prise de remords sur son mensonge, Magda est retrouvée par Rambaldo qui lui propose de revenir à Paris et d’y reprendre son existence passée…
Dans la présente version, elle y renonce, comme elle renonce à la vie et se noie dans la mer.
Au sommet de la distribution de cette Rondine, le Ruggero du ténor américain Marcus Haddock a tout pour lui : le timbre, le style, le phrasé, le volume et une excellente projection de la langue. Son format vocal spécifique le destine d’emblée à Puccini, il chante d’ailleurs Pinkerton (Madama Butterfly) et Rodolfo (La Bohème), les deux rôles phares de ce répertoire. Il est ici magnifique et le caractère intrinsèque de sa voix le distingue nettement du reste de la distribution, Inva Mula mise à part.
La soprano espagnole Ainhoa Arteta est une magnifique comédienne et son physique l’avantage considérablement pour le rôle de Magda. De prime abord, la ressemblance avec Karita Matila est étonnante sur la photo de jaquette comme en scène, mais ce n’est qu’illusion et coïncidence. Musicienne superbe, son air "de Doretta" à l'Acte 1 est un petit bijou. Elle est une magnifique Magda, et fait évoluer son personnage avec art, grâce et subtilité. On peut regretter que son timbre ne soit pas un idéal d’adéquation avec le répertoire puccinien, qu’il nous manque cette couleur chaude et essentielle, celle également indispensable aux plus belles phrases de Fidelia (Edgar), de Manon Lescaut, de Mimi (La Bohème) ou de Butterfly, pour ne citer que les ouvrages qui précèdent en date celui-ci. On songe à sa compatriote Pilar Lorengar, trop tôt disparue en 1996, avec laquelle elle partage une musicalité exceptionnelle qui compense largement cette réserve.
Prunier, le poète, est chanté ici par Richard Troxell auquel il est difficile de reprocher quoi que ce soit : son style est approprié, il possède un vrai sens dramatique avantageusement servi par un physique avenant. C’est son timbre qui ne convient pas parfaitement. La couleur n’est pas tout à fait appropriée, ni en totale harmonie avec ce qu’il chante. Peut-être son registre n’est-il pas vraiment approprié au rôle qui requiert un medium et un grave suffisants. Puccini hésitera lui-même à deux reprises entre ténor et baryton pour le rôle de Prunier. Comme pour grand nombre d’artistes anglo-saxons notamment, la conquête de la couleur latine est un défi majeur et laborieux en raison de ce placement de la voix qui fait toute la différence.
Le Rambaldo de William Parcher possède les mêmes caractéristiques que Prunier, mais il s’impose avec davantage d’aisance tant vocalement que dramatiquement, dans le rôle de l’amant de Magda.
On connaît assez bien Inva Mula - née en Albanie et devenue Française - pour ses prestations remarquables et remarquées sur les scènes de notre pays (dernièrement Mireille de Gounod à l'Opéra de Paris). Sa Lisette, sœur cadette de Musetta (La Bohème) est parfaite et possède tant l’abattage que la projection sonore insolente qui caractérise son personnage. C’est un ravissement.
Le chef français Emmanuel Villaume est idéal pour cette Rondine. Sa direction est vive, présente, éclatante et il maîtrise complètement le style, le phrasé et l’articulation du répertoire. Il fait ressortir sans faillir l’orchestration spécifique de Puccini, unique à son époque, qui conjugue de manière si extraordinaire la masse et la transparence des pupitres. C’est un atout majeur pour les chanteurs qui ont besoin à tout instant de ce soutien qu’il apporte si généreusement.Plácido Domingo, directeur général de l’Opéra National de Washington, a confié la production de cette "comédie lyrique" (selon l’auteur), à son épouse Marta. Sa mise en scène est tout à fait convenable, conventionnelle en tout cas, sinon convenue, et classique : le Paris de la Belle Époque, comme la Côte d’Azur à l’Acte III, est restitué à la lettre, chargé, brillant et élégant.
Mais cet aspect visuel, pas plus que le livret de Guiseppe Adami et Heinz Reichert, ne peuvent traduire une profondeur d’action que ce dernier ne possède pas. Aucune autre lecture, ni vraiment sociologique, ni psychologique ou encore moins psychanalytique ne peut émerger d’une anecdote, qui fera hésiter Puccini sur la forme de son ouvrage, plus proche de l’opérette luxueuse que de l’opéra romanesque.
On doit souligner le mérite de cette production d’avoir effectué des recherches sur les différentes versions de cette Rondine. L’air de Ruggero à l'Acte I "Parigi ! è la città dei desideri", et le duo Madga/Rombaldo "Che volete da me ?" à l'Acte III, tous deux restitués. Pour l’anecdote comme pour le titre, c’est au cours de ce dernier duo qu’on apprend que l’hirondelle -"la rondine" en italien - est une impression à la mode à Paris.
Le dénouement original est aussi préféré ici, nous éloignant du happy end qu’on connaissait jusque-là et que Puccini avait un instant privilégié.
Gilles Delatronchette