L’ouvrage, que Puccini compose entre Madame Butterfly (1904), La Rondine (1917) et le Triptyque (1918), mêle subtilement le lyrisme de La Bohème à des accents originaux avec lesquels l’auteur fait référence au Far West tel qu’il l’imagine. L’opéra se révèle complexe dans son écriture autant que dans le contenu psychologique de ses personnages principaux. Minnie, seul personnage féminin de l’ouvrage, se trouve rapidement au beau milieu d’un enchevêtrement de sentiments totalement contradictoires, voire opposés, avec lesquels elle devra composer. Ses sentiments pour Johnson seront contrariés quand elle découvrira qu’il est en fait Ramerrez, le bandit que tous recherchent et dont la tête est mise à prix. Elle le chasse puis le protège ensuite quand, blessé par balles, il doit échapper à ses poursuivants. Son amour déclaré, elle mettra sa tête en jeu, puis, elle qui enseigne les vertus de la Bible, trichera aux cartes pour le sauver… Toutes ces contradictions construisent la richesse du personnage et en parachèvent sa complexité. Pour cela, Puccini tisse un canevas orchestral de grande subtilité, comme à l’accoutumée depuis ses premiers ouvrages, mais celui-ci constitue un sommet. L’harmonie, ses gammes par tons, la richesse des associations de timbres puisées ici dans un orchestre immense et novateur, ainsi que plusieurs mélopées issues de ce Far West mythique font de cette Fanciulla del West un opéra vraiment à part.
Donné en première mondiale à New York en décembre 1910, l’affiche comme le succès inouï qu’il remporte s'avèrent exceptionnels : Toscanini à la direction, Enrico Caruso et Emmy Destinn en tête de la distribution, excusez du peu ! Puccini s’établit vers la fin des années 1890, non loin de Viareggio à Torre del Lago. Il y passera la majeure partie de sa vie, c’est pourquoi un Festival Puccini y est fondé en 1930. Les plus grands noms de l’art lyrique du siècle s’y succèdent et consacrent l’histoire de ce Festival. La Fanciulla del West est repris en 2005, lors de la 51e édition des festivités, dans une nouvelle production due au peintre américain Fred Nall Hollis (alias Nall). C’est à cette occasion que cette production et la présente distribution sont filmées.Quelques décalages et imprécisions des chœurs et de l’orchestre peuplent l’Acte I dont le rythme s’alourdit et devient parfois poussif. Heureusement le duo Daniella Dessì/Fabio Armiliato (son mari à la ville) lui rend son intérêt, sans lequel on risquerait l’ennui à plusieurs reprises. Pourtant, dans la fosse, le chef Alberto Veronesi tente, avec un enthousiasme souvent communicatif, de rendre les tableaux attractifs. Ni les micros HF parfois déficients ni les lourds costumes aux couleurs souvent laides et aux coupes improbables ne leur ajoutent rien de vraiment positif.
Daniella Dessì (Minnie) possède incontestablement une qualité de chant exceptionnelle, hors du commun, celle qui fait d’elle une grande artiste de classe internationale. Grâce à une technique élaborée et maîtrisée, elle parvient aisément à compenser une certaine raideur dans l’aigu et un vibrato qui sature les notes forte, dans le registre élevé notamment. Le rôle écrasant de Minnie est périlleux, lourd, long et exige autant phrasé élaboré qu’agilité et volume. À ce titre, Daniella Dessì remplit incontestablement sa tâche mais on reste quelque peu sur sa faim, perplexe de n’être pas totalement comblé par son incarnation du personnage. Nous nous satisferons de beau chant, c’est déjà beaucoup.La distribution est en fait dominée par les hommes, les deux auxquels l’ouvrage offre les rôles de premier plan : Ramerrez alias Dick Johnson, chanté ici par Fabio Armiliato et Jack Rance, interprété par Lucio Gallo. Les deux protagonistes possèdent parfaitement les moyens de leurs rôles respectifs. Le premier, des aigus éclatants, stables, et un style de chant redoutablement efficace dans un rôle si périlleux. Son duo avec Minnie à l’Acte I est superbe de part en part comme l’est encore son "Ch’ella Mi creda libero" à l’Acte III. Il est un partenaire idéal face au format vocal de grande envergure que possède Daniella Dessì. Le second, sorte de Scarpia du Far West, est aussi convaincant que son ennemi et rival. En effet, Lucio Gallo possède bien la couleur noire de Jack Rance, son autorité naturelle étayée par l’impressionnante tessiture du rôle. Le chanteur se révèle aussi excellent comédien.
La distribution comporte en outre un nombre impressionnant de petits rôles aux interventions souvent courtes : Ashby, Sonora (remarquable Marzio Giozzi), Trin, Joe, Nick (Massimo La Guardia, un peu juste vocalement), la jeune squaw Wowkle… L’ensemble est plutôt satisfaisant. Comme mentionné plus haut, le chœur trouble un peu la fête, à l’image du décor fouillis et laid. C’est avant tout une question d’unité qui lui fait défaut, mais aussi de couleur vocale, chorale en l’occurrence, qui n’a pas trouvé d'harmonie.
Alberto Veronesi, Directeur artistique de ce Festival Puccini, possède incontestablement le style propre à ce Puccini de maturité, mais il dirige un orchestre auquel manquent à plusieurs reprises l’agilité et la souplesse requise. Il ne fait pas de doute qu’on était à deux doigts d’une belle et grande réussite. Mais l’ouvrage est représenté au catalogue DVD par plusieurs versions, sous la direction de De Fabritiis (Antonietta Stella en Minnie) notamment, mais aussi celles de Leonard Slatkin (MET) ou encore de Lorin Maazel (Scala), versions avec lesquelles il sera bien difficile de rivaliser.
La production mise en scène par Ivan Stefanutti se montre dramatiquement efficace dans son ensemble mais ne se distingue à aucun moment par la qualité des éléments visuels qu’elle aligne. Rien ne se démarque, ni d’un axe tout ce qui est de plus traditionnel ou convenu, ni d’un ensemble de décors sans dimension dramatique ou esthétique. Pour l’intérieur de l’habitation de Minnie à l’Acte II, le décorateur semble disposer les uns à côté des autres les éléments qui le constituent sans aucune conception globale là non plus. L’ensemble est plutôt laid, en tout cas totalement inefficace et vide sur le plan stylistique. On peine à croire Jack Rance, quand il dit à Minnie "Quelle belle pièce !". Quant aux tibias et autres fémurs géants à l’ouverture de l’Acte III, ils ne relèvent guère l’attrait visuel de l'ensemble. Certes, ils soulignent effectivement l’effroi, la lourdeur du climat de tension qui règne au lever du rideau, mais n’assurent aucun complément esthétique à cette production qui en manque décidément bien trop.
Comme indiqué plus haut, grâce à une distribution plutôt équilibrée et de haute volée, on était à deux doigts d’une fort belle production de cette Fanciulla del West. On regrettera d'autant l’absence de gestion artistique de l’espace scénique et un ensemble de décors qui nuit à la profondeur d’une partition parmi les plus inspirées de son auteur.
Gilles Delatronchette