C'est en 1975 que le politicien et amateur de musique José Antonio Abreu initia le mouvement qui permet aujourd'hui aux musiciens vénézuéliens d'être reconnus dans le monde entier.
Son idée de génie fut d'utiliser un système d'éducation musicale comme forme de progression sociale. En faisant jouer les jeunes enfants, il permet à ceux-ci de sortir d'un contexte de violence urbaine inouïe et de pauvreté extrême. Très vite associés à un orchestre ou à une chorale, ils se familiarisent avec les autres, le travail de groupe, et la poursuite d'un but commun. La musique devient alors possibilité d'un avenir meilleur.
Autour de l'enfant musicien qui pratique 4 heures par jour, 6 jours par semaine, c'est aussi toute sa famille qui se trouve entraînée dans la spirale musicale, comme ses amis, ses voisins…
Aujourd'hui quelque 265.000 enfants et adolescents font partie d'orchestres et de chœurs dans tout le Venezuela. El Sistema, avec l'aide des politiques, a permis la mise en place de nombreuses structures qui, toutes, à leur niveau, aident les jeunes en leur apportant un espoir et surtout un début de réalisation par la musique et l'orchestre. Dans le même temps, on note un recul de la délinquance juvénile.
Pour le Venezuela, enfin, la musique est devenue une ambassadrice accueillie à bras ouverts dans le monde. Le Simon Bolivar Youth Orchestra, fleuron des orchestres liés au Sistema, a fait ses débuts au Carnegie Hall de New York en 2007 sous la direction de Gustavo Dudamel, chef d'orchestre aujourd'hui très populaire.
Les caméras de Paul Smaczny et Maria Stodtmeier, chargées de sensibilité et d'énergie, nous conduisent à appréhender el Sistema par la rencontre avec José Antonio Abreu, charismatique initiateur du projet, habité de foi en l'homme et de musique, mais aussi avec de nombreux enfants et familles que nous suivons dans leur quotidien jusqu'aux auditions des élèves et leur intégration dans un orchestre ou une chorale.
Jamais de misérabilisme ou de désespoir à l'image, mais une volonté constructrice portée avec incandescence par les jeunes enfants musiciens et leurs pédagogues. Lorsqu'ils expriment leurs craintes des fusillades susceptibles de se déclencher à la sortie des écoles et de faucher la vie de leurs jeunes élèves, ceux-ci parviennent aussi à se dégager de leurs peurs en visant au loin le devenir prometteur du pays. Mais le lendemain, un enfant peut être blessé, un voisin disparaître… El Sistema continuera sur sa lancée car s'arrêter pour pleurer serait la fin de l'espoir.
Personne n'est laissé sur le carreau comme l'illustrent avec tact les images d'un Ave Maria interprété par le Chœur des mains blanches, une chorale de jeunes sourds-muets qui s'expriment avec leurs mains gantées de blanc en parfaite synchronisation sur une musique qu'ils n'entendent pas.
Le rythme du film est une autre réussite. Nous le devons au superbe travail du monteur Steffen Herrmann, ponctué par une utilisation fine et parfois spectaculaire de la musique, telle cette Valse de Ravel interprétée avec un rare moelleux, qui investit en multicanal la pièce où nous nous trouvons. À plusieurs reprises, l'élargissement de la scène sonore joue ainsi comme un passage à une dimension à la fois réaliste et pour ainsi dire poétique. En cela, cette remarquable réalisation est on ne peut plus fidèle à ce "système" qui repose entièrement sur la musique.
Qui, en effet, aurait pu dire que l'Ouverture fantaisie Roméo & Juliette de Tchaïkovsky serait un outil de cohésion pour toute une population ?
À noter : Ce film est en VO espagnole sous-titrée.
Philippe Banel