D’aucuns considèrent que, paradoxalement, plus un sujet est particulier, plus il touche à l’universel.
C’est sans doute ce qu’on peut dire de cet épisode tragique de la Révolution Française qui a vu 16 religieuses de Compiègne résister à la Terreur en se réunissant malgré la fermeture de leur couvent avant de se voir alors condamnées à la guillotine le 17 juillet 1794. Il inspirera l’auteure allemande Gertrud von le Fort qui y verra non seulement un drame historique, mais bien un message intemporel : "Pour moi, l’Histoire n’était qu’un prétexte pour aborder un problème d’actualité. J’ai écrit ce livre alors que j’étais marquée par l’état d’esprit des dernières années*, à une époque où en Allemagne et dans d’autres parties du monde, nous avons soudain pris conscience que la terre commençait à trembler sous nos pieds".
Or, si Gertrud von le Fort voyait dans cette histoire une expression de la force et de l’universalité des valeurs humaines et religieuses face à la barbarie, Bernanos y vit dans le même temps, dans le personnage de Blanche, un écho à ses propres angoisses vis-à-vis de la mort.
Ici, le décès des Carmélites prend sens et devient martyre au service d’une cause qui les dépasse.
Actuelle, cette œuvre le fut aussi pour Francis Poulenc pour qui le Dialogue des Carmélites, composé en 1957 marque le sommet d’une période de retour à la foi amorcée en 1935.
* L’effondrement de la République de Weimar et la montée du nazisme.
C’est bien cette actualité du sujet, sous toutes ses facettes, qu’a voulu montrer ici le metteur en scène Nikolaus Lehnhoff à travers une scénographie quasiment dénuée de toute référence historique ou géographique. Le temps et l’espace n’existent plus dans ce dispositif épuré fait de claires-voies symbolisant tout autant un enfermement carcéral qu’un appel à la lumière.
De fait, cette distance du réel nous conduit finalement à nous tourner vers notre propre réalité.
La fidélité et l’engagement de ces religieuses jusqu’au sacrifice au nom de valeurs sacrées ne peuvent que parler, au-delà du contexte historique originel du drame, à notre monde post-moderne précisément en crise de valeurs, au-delà même de l’aspect religieux.
Dans le même temps, ce dénuement fait du Staatsoper de Hambourg un merveilleux écrin à la musique, lui laissant toute sa place tant du point de vue émotionnel que dramatique.
Le sujet étant universel, il a su parler aux artistes de ce plateau de choix dans lequel on ne peut qu’admirer en premier lieu la performance d’Alexia Voulgaridou dans le rôle de Blanche pour lequel elle a su trouver un équilibre entre son intégration dans l’univers du couvent et les dédales de ses angoisses existentielles à travers une interprétation à la fois dynamique, intense, empreinte de lyrisme, mais techniquement maîtrisée, sans le moindre débordement.
Nous avons également été touchés par la présence de Gabriele Schnaut dans le rôle de Mère Marie de l’Incarnation. Une présence habitée, toute en force contenue, au timbre terriblement charnel malgré sa position.À la baguette, Simone Young, directrice musicale du Staatsoper de Hambourg et chef principale du Philharmonique de la ville a montré depuis 1996 qu’une musicienne formée dans la lointaine Australie pouvait parfaitement s’intégrer dans le moule difficile de la culture germanique.
Elle prouve, s’il était besoin, qu’elle a également très bien intégré le langage musical français, articulant à merveille le proche et le lointain, le sens très aigu du timbre propre au répertoire français post-berliozien et la dynamique sonore spécifique à un drame de cette ampleur par lequel on la sent totalement inspirée.
En résumé, une bien belle version qui, non contente de nous émouvoir, nous parle au plus profond.
Retrouvez la biographie de Poulenc sur le site de notre partenaire Symphozik.info.
Jean-Claude Lanot