Un mystérieux voyageur conseille à Gustav Von Aschenbach, écrivain en panne d'inspiration, d'aller chercher l'inspiration dans le sud. Il se rendra à Venise, dans cette ville où règnent les miasmes d'une maladie volontairement cachée par les autorités en raison de l'affluence touristique en cette chaude période.
Von Aschenbach, toujours en quête, aura du mal à refouler ses instincts envers un jeune garçon, Tadzio. Malgré la présence de signes alarmants, défiant les conseils de personnages troubles tournant autour de lui, ses délires homo-érotiques, couplés à son impossibilité de communiquer, le fixeront jusqu'à sa mort dans la ville malade.
Britten fait beaucoup voyager son personnage. Les décors évoluent avec souplesse sans cassures entre les scènes grâce à un système efficace de plateau tournant. Au demeurant, ils restent très figuratifs : façades renaissance, pont, hall et terrasse d'hôtel, chambre à coucher, bâtiments publics, colossale statue d'Apollon, basilique Saint-Marc.
Quelquefois, un seul élément suffit à suggérer un lieu : un fauteuil pour le salon de coiffure, une croix pour l'église.
L'atmosphère générale garde tout au long de l'opéra sa touche funèbre : brume, grisaille, sol luisant, cyprès. Quelques boules blanches d'éclairage public et un soleil orangé voilé apportent toutefois des repères lumineux.
Les costumes sont contemporains et sans surprises. Curieusement, Von Aschenbach, au fur et à mesure de son enfermement mental, passera du costume gris foncé à un trois pièces blanc éclatant.
Pour son Mort à Venise, Britten n'a pas composé de grands airs à la manière de l'opéra populaire. Aussi, son personnage central n'a pas les moyens de briller, et la voix de ténor de Marlin Miller navigue constamment entre un parler-chanter et des récitatifs accompagnés au piano.
Heureusement, il assume avec conviction son rôle écrasant, omniprésent mais scéniquement assez statique. Sa diction est en outre parfaite.
Grand concurrent, l'impressionnant baryton Scott Hendricks est lui aussi toujours en scène mais incarne de multiples rôles : voyageur, vieux beau, gondolier, gérant d'hôtel obséquieux, coiffeur, et chef des musiciens. La caractérisation multiple évite le cliché et le cabotinage. Sa partition vocale sollicite souvent les registres suraigus, l'obligeant à chanter en voix de tête. Vu sa performance, il nous convainc par son autre talent : celui d'acteur.
Le rôle de Tadzio est muet. Britten a mélangé les genres en le laissant danser sur une musique souple et subtile où dominent les nombreuses percussions de couleur orientale qu'il associe à son personnage : xylophone, vibraphone, gong, cloches-tubes. Il est incarné par le danseur Alessandro Riga, dont les déplacements gracieux et les jeux dansés conjuguent grâce et puissance sous les yeux de Von Aschenbach qui le convoite.Hormis les autres rôles chantés sur scène, assez brefs, on entend le chœur sans le voir.
Il commente l'action en se trouvant dans la fosse d'orchestre, derrière les musiciens. Certains de ses membres ont même des parties solistes.
Britten utilise en outre un orchestre important. Grâce au chef Bruno Bartoletti, vieux routier des fosses d'opéras, tout l'orchestre de La Fenice se transforme en un ensemble de musique de chambre aux couleurs subtiles.
Au final, l'impression du spectateur s'oriente vers une variété et une délicatesse de tous les instants.
Joué dans les lieux même où se déroule l'action, Mort à Venise est une réflexion sur la création artistique.
Gustav von Aschenbach, double du compositeur, est le rôle le plus éprouvant qu'il ait jamais écrit.
Nicolas Mesnier-Nature