Des décors, on en aura vite fait le tour. Sur un fond blanc immaculé, un empilement d'objets hétéroclites rappelant une boutique d'apothicaire telle que l'on se l'imagine au XVIIIe siècle : oiseaux, papillons, plantes, squelettes d'animaux, crâne humain, élixirs, mappemonde, métronomes. Dès la scène 2, on nous montre l'essentiel d'un appartement ouvert sur un jardin : un immense cyprès central découpe l'espace en deux, des panneaux blancs simulent les murs comprenant des ouvertures de chaque côté de la scène en guise de porte. Le sol est jonché de feuilles, une couleur bleue parcourt l'arrière-plan. Quelques chaises sont symétriquement placées sur un sol uniformément blanc. À l'Acte II, une table centrale viendra s'y ajouter. Dans l'ensemble, autant dire quasiment rien. L'éclairage, quant à lui, reste le même d'un bout à l'autre de l'opéra ; une monotonie se dégage irrémédiablement.Restent les costumes faisant vaguement référence à la fin du XVIIIe pour les hommes, si ce ne sont les perruques et les robes des femmes franchement contemporaines de Mozart. Leurs couleurs pâles deviendront plus foncées par la suite. Les hommes passeront de l'uniforme blanc à de vagues robes de chambre sans style. Don Alfonso porte une jaquette noire et de petites lunettes ovales violettes à la manière de Robespierre, ainsi qu'une perruque.
Il y aura bien quelques tentatives de mise en scène pour rompre cette monotonie visuelle, toutes basées sur l'humour : les fausses tentatives de suicide des deux sœurs (une corde, un couteau à beurre, un seau de nettoyage, un pistolet). Ou encore la présentation par Dorabella des paroles de l'air Come Scoglio chanté par Fiordiligi ou les effets de l'alcool (n°20) sur les deux femmes, bien réussis et sans forcer le trait. À la Scène 8 de l'Acte II, le corps d'une femme est reconstitué par l'assemblage de différents fruits : une pastèque pour le bas du corps, un melon pour le haut, une orange pour la tête, deux bananes pour les bras et deux fraises pour les seins le tout traversé par une aiguille destinée à les faire tenir ensemble. Mais la partie comique et la légèreté repose presque entièrement sur les épaules de Dorabella dont les multiples déplacements, son air malicieux, ses déguisements en médecin et en notaire cacochyme dérident aisément l'ambiance plutôt sérieuse.
Les chanteurs arriveront en partie à sauver du naufrage ces trois heures qui paraissent longues, d'autant plus que les récitatifs tiennent ici une part importante. Le Ferrando de Javier Camarena peine à convaincre en raison d'un timbre nasal impliquant une émission vocale toujours en retenue à l'image de son jeu d'acteur. Guglielmo est davantage présent grâce au timbre de baryton puissant et chaleureux de Ruben Drole, bien meilleur acteur que son confrère. Quant à Olivier Widmer, à défaut de grands airs pour convaincre, il incarne bien le vieux célibataire désabusé sans pour autant assurer une présence scénique inoubliable.Le trio féminin est beaucoup plus homogène, les talents de chanteuses et d'actrices de Malin Hartelius dans Fiordiligi et d’Anna Bonitatibus dans celui de Dorabella assurant une prestation de haut niveau garantie par une fiabilité vocale évidente. Mais il est important de constater qu'à la fin de l'œuvre, c'est davantage Martina Jankova qui restera dans les esprits, maligne servante prête à jouer de bons tours, passant avec grande aisance du registre de la fausse morale à la parodie grotesque. Sa voix modulable selon son statut – servante, médecin ou notaire – trouve les bonnes tonalités expressives.
Franz Welser-Möst dirige sans génie malgré les bons instrumentistes maison dont il dispose. Les nombreux plans d'ensemble le cadrent obstinément de dos en train d'agiter les bras, ce qui peut à la longue agacer. Quant aux mornes récitatifs, ils sont assurés par un violoncelle et un pianoforte.
Il ne suffit pas d'avoir de bons chanteurs pour faire un bon opéra. Cette production en est malheureusement l'illustration évidente. Seul un dernier événement que l'on ne dévoilera pas ici figurera la marque personnelle du metteur en scène. Mais, avouons-le, cela est bien peu.
Nicolas Mesnier-Nature