Nelly Decamp et Jean-Pascal Quiles sont tous deux guitaristes classiques de formation, d'où leur démarche musicale respectueuse des œuvres originales, toujours citées avant une transformation visant à les faire évoluer dans leur univers.
Les mélodies classiques les plus populaires du répertoire pour guitare de De Falla, Lecuona, Albeniz, Bonfa ou Piazzolla se prêtent à une transgression qui fonctionne plutôt bien car on sent la culture musicale de Classic Fusion dans ces variations.
La ligne mélodique est très souvent valorisée et les ruptures de rythme bien ménagées.
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Il faut souligner le fait qu’à la base de l'édifice se trouve la subtilité d'interprétation de la guitariste Nelly Decamp et sa maîtrise constante de la qualité du son.
La guitare de Jean-Pascal Quiles joue plutôt le contraste et le duo trouve un point d'équilibre de façon naturelle, un peu comme une respiration.
Il ne faudrait toutefois pas cantonner le guitariste à un rôle d'accompagnateur. Son jeu d'une extrême précision quand il se fait percussions-"sapateado" dans Thé à la menthe, peut aussi devenir nuancé et délicat. C'est alors que le duo s'inverse et renouvelle l'intérêt de l'auditeur par une autre façon de créer le dialogue entre les deux guitares.Les sons électroniques générés à l'aide d'un Macintosh à la pomme blanche (très visible) créent assez souvent une ambiance qui sied à l'ensemble en lui apportant des basses qui tendent à ancrer le son dans une dimension plus structurée.
Ils parviennent aussi à constituer une discrète invitation au dépaysement qui se marie avec bonheur à certains morceaux sans jamais entamer la musicalité de la guitare principale.
Chants d'oiseaux, murmures, rumeur ou tout cela à la fois, l'électronique parvient à se montrer descriptive.
C'est sur la musique d'inspiration brésilienne que l'intervention de R-kils se montre particulièrement pertinente.
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La batterie, très présente, sait le plus souvent se faire légère et trouve une place logique au sein du quatuor.
Mais parfois, elle investit un peu trop l'espace sonore et détruit l'équilibre entre les instruments.
Cela étant, un mixage multicanal aurait permis de limiter ce déséquilibre.
Bien sûr, lorsque le son devient plus rock, la donne est différente et la batterie s'exprime alors tout naturellement.
Les influences des arrangements sont assez variées et intègrent des sonorités de diverses cultures, mais aussi des rythmes de bossa-nova voire de hip-hop.
Jeux interdits, par exemple, débute avec une certaine lourdeur.
Mais, très vite, la douceur de la ligne musicale du thème s'impose avant de devenir une variation originale de courant oriental-indien très séduisante.
Tant la couleur du son que les transpositions font de cette pièce un beau moment de musique hors de tout code convenu.Nelly Decamp et Jean-Pascal Quiles sont également compositeurs.
Leurs pièces alternent avec des emprunts plus classiques.
Mana Kela et Louis dort, qui conclut le concert, sont parmi les plus riches.
Signalons toutefois que, si l'alternance des morceaux fonctionne bien, l'intérêt commence à s'émousser au bout d'une cinquantaine de minutes.
Non que la musicalité fasse défaut.
Mais plutôt en raison d'un son qui, globalement, n'évolue pas.
La pulsation, de même, a tendance à s'installer pour ne plus nous surprendre.
La rupture attendue s'exprime en fait un peu après, alors que la progression suit une orientation plus rock.
Après un Libertango réussi, Louis dort, joué en "bis", propose une intro "New Age" avant de nous permettre de retrouver la superbe sonorité de la guitare de Nelly Decamp.
Son legato parfait nous retient au-dessus d'un arrière-plan un peu trop lourd.
Gageons que le programme "Asturias" évoluera musicalement.
C'est du reste peut-être le cas depuis cette captation de 2009.
Mais en l'état, saluons l'intérêt de ce mariage entre divers courants qui pourra s'adresser tant aux amateurs de jazz que de musique dite "classique".
Philippe Banel