Une personnalité comme celle d'André Previn ne s'est pas forgée spontanément. L'aspect biographique se tisse progressivement au fil des interviews et des échanges avec ses proches – sa femme, son ex-femme, ses fils – ses collaborateurs et amis, dans un style direct, sans langue de bois et sans voix off. André Previn parle avec facilité et humour. En amoureux de la vie, il porte un regard rétrospectif dénué de rancœur ou de haine pour les événements durs de son passé : l'émigration forcée et brutale en France, puis aux USA en 1939, par exemple. Pas plus dans sa vie privée que professionnelle les barrières ne demeurent infranchissables.
Musicalement, elles disparaissent au profit d'un éclectisme rare dans ce milieu. André Previn rejoint le cénacle très restreint des interprètes multicarte qui réussissent tout ce qu'ils entreprennent : la composition (musiques de films, comédies musicales, opéras, concertos et symphonies…), les genres (jazz et classique), l'interprétation (le piano, l'orchestre). Comme lui, chacun à leur niveau, Leonard Bernstein, Friedrich Gulda et Keith Jarrett ont réussi à rapprocher les extrêmes, à décloisonner les genres.
On comprend qu'il faut indéniablement une personnalité exceptionnelle pour y parvenir, mais le résultat en vaut la chandelle : la rigueur classique a tout à gagner de la souplesse du jazz, comme la camaraderie du jazz a tout à apporter au formalisme parfois stérilisant du classique.
Jamais André Previn ne donne l'image d'un dictateur de la baguette. Il est le premier à s'étonner que les membres d'un orchestre viennent aux répétitions en habits de scène. Pour lui, le sérieux doit être de mise pendant le travail mais la détente et le rire restent nécessaires pour résoudre les problèmes hiérarchiques qui peuvent survenir.
Les deux Quatuors avec piano de Mozart proposés en bonus du documentaire sur ce DVD illustrent parfaitement cet état d'esprit.
Filmés en janvier 2000 au Mozarteum de Salzbourg, soit 8 ans avant Un pont entre deux mondes, en compagnie de trois membres de la Philharmonie de Vienne, ils nous montrent un André Previn parfaitement serein. L'interprétation, d'un classicisme absolu, sans effet superflu et d'où les conflits sont absents, offre une parfaite homogénéité. La neutralité expressive de son visage est au service d'une discrète efficacité. Le pianiste est à l'écoute de ses partenaires tandis que ses doigts courent sur le clavier avec une désarmante facilité.
Deux phrases résument l'état d'esprit qui donne un sens à la vie d'André Previn et à sa vision de l'avenir : "Je veux être un collègue, pas un maître d'école" ; "Le public diminue mais il ne vieillit pas". Autrement dit, une leçon d'optimisme, une foi en les relations humaines et la transmission des savoirs que l'on peut prendre pour un exemple à suivre.
À noter : Ce documentaire présente des interventions en plusieurs langues. Les sous-titres sont disponibles à l'exception de la langue parlée à l'écran.
Nicolas Mesnier-Nature