Une petite mise au point s'impose d'emblée.
Pour cette production, l’éditeur C Major met nettement l’accent sur la rencontre entre le Baroque et le Butoh, ce qui ne correspond pas tout à fait à la réalité de ce spectacle, qui s’avère bien plus riche que cela.
Le Butoh est un art chorégraphique japonais relativement récent puisqu’il remonte aux années 1970. On le reconnaît dans cette production notamment à travers la présence muette du danseur et chorégraphe Mamu, grand spécialiste du genre.
L’ambiguïté de cette présentation vient du fait qu’on nous explique dans les bonus que la metteur en scène a vu un parallèle entre l’ère Edo - XVIIe siècle japonais - et l’âge baroque, ce qui rend la présence du Butoh assez inattendue.
Plus pertinente aurait été une présentation du Kabuki, art théâtral traditionnel nippon plus largement utilisé dans cette production et qui offre plus d’un parallèle, historique et artistique, avec l’opéra baroque.
Tous deux ont en commun leurs origines historiques, dans la mesure où ils sont nés dans une société marquée par l’étiquette, et cela se ressent nettement dans le livret d’Admeto, re di Tessaglia.
Tous deux partagent une codification rigoureuse, complexe et raffinée, tant dans les gestes que le langage.
Tous deux partagent enfin des rôles travestis : hommes déguisés en femmes au Japon, castrats ou contre-ténors pour Händel.De fait, ce parallèle, pertinent, conditionne de façon assez naturelle la présente scénographie, avec des personnages vêtus de costumes traditionnels japonais (samouraï, sumotori, geisha…) dans un décor très épuré fait de tentures propre à l’utilisation très poétique d’ombres chinoises sur fonds de différentes couleurs.
À partir de là, le Butoh se justifie pour apporter une dimension plus actuelle à l’ensemble, avec la présence de ce spectre qui apporte un contrepoint psychologique tout à fait intéressant à l’intrigue, tout en se fondant dans le dessein artistique de la metteur en scène.
Le décor est maintenant posé et bien posé, à la fois pertinent, justifié et argumenté. Reste la réalisation de cette ambition louable, et force est de constater qu’elle n’est pas nécessairement à la hauteur.
Côté musique, rien à dire si ce ne sont des éloges.
L’orchestre est dirigé par un haendelien convaincu et averti. Avec certes un peu de retenue - trop, parfois - qui sied bien à l’ambiance japonaise, il brille par sa cohésion, la beauté de ses timbres et son sens du drame, notamment dans des récitatifs fort bien menés.
Quant aux chanteurs, on ne peut qu’être admiratif de la performance de Tim Mead dans le rôle-titre qu’il tient avec panache d’un bout à l’autre de la représentation sans faiblir.
Mention spéciale également pour Kristen Blaise (Antigone), particulièrement brillante et impliquée.
Les rôles masculins, moins impressionnants, ne déméritent pas, même si les timbres auraient pu être plus riches. Mais cela leur permet dans le même temps une lisibilité de la grammaire baroque des plus appréciables, à travers une ornementation précise.
La performance de l’ensemble de ce beau plateau vocal est d’autant plus admirable que la metteur en scène ne leur a pas facilité la tâche avec des mouvements allant parfois à l’encontre du chant, comme vocaliser en se roulant par terre.Tout se gâte, en fait, dans les incursions "modernes" de cette version.
Si l’actualisation du propos est pertinente et même essentielle, avec cet apport très inattendu et anachronique du Butoh, on sera plus réservé quant aux moyens employés pour ce faire.
C’est ainsi qu’à la beauté des costumes féminins répond un Transimède assez grotesque et surtout un Hercule parfaitement ridicule en sumo de plastique. Pour actuelle, cette matière et sa mise en scène retire toute profondeur au propos, et attire exagérément l’œil sur ce qu’il y a de plus factice dans cette production, en tendant vers le risible au détriment de son véritable propos. Même remarque pour l’ "âme" d’Admeto (Mamu) dont le déguisement tire plus sur Sadako, la créature horrifique du film The Ring et autres Grudge que sur une ombre venue des Enfers qui s’intègre difficilement à l’ensemble.
Finalement, la metteur en scène en arrive à discréditer sa propre vision par ce collage facile et maladroit.
Et quand démarre l’acte final, qui se veut une synthèse des univers associés dans cette production, on assiste plutôt à une superposition forcée et indigeste de samouraïs perdus dans un salon XVIIIe, témoignage ultime d’une vision non aboutie.
À partir de prémices passionnantes, cet Admeto finit malheureusement par décevoir en donnant l’impression d’une greffe qui n’a pas pris faute d’une réflexion suffisamment approfondie.
Dommage, car il y avait matière à une approche véritablement revivifiée de cette œuvre, et même de l’opéra baroque en général…
Jean-Claude Lanot