Le feu des projecteurs ne se juge pas à l’aune du talent… La figure de Joaquín Achúcarro illustre bien ce propos.
Pianiste de premier plan, il se distingue surtout par sa discrétion et, s’il est relativement mal connu du grand public, il l’est fort bien des amateurs de belle musique.
Né à Bilbao en 1932, il fait ses débuts de concertiste dès 13 ans en interprétant Mozart.
Également doué pour les sciences, il les étudie à Madrid pour mieux retourner ensuite à la musique, à laquelle il se voue à l’Accademia Musicale Chigiana de Sienne.
Sa carrière prend alors son essor en 1959 tandis qu’il remporte Le Concours international de Liverpool qui lui ouvre les portes du London Symphony Orchestra.Son parcours de pianiste peut s’enorgueillir de collaborations avec les plus grandes phalanges mondiales et les plus grands chefs, de Claudio Abbado à Zubin Mehta en passant par Simon Rattle et autres Seiji Ozawa.
Depuis le milieu des années 1980, il enseigne également à la Meadow School of the Arts de l’Université Méthodiste du Texas.
À mille lieues de la virtuosité gratuite de nos jeunes loups d’aujourd’hui, le jeu d'Achúcarro est au nombre de ceux qui prennent le temps.
Celui d’écouter une attaque, une résonance, de peser chaque note pour elle-même et par rapport aux autres.
Sans doute l’un des derniers représentants d’une approche de la musique humble, offerte et posée, mais sans l’once d’une lourdeur.
Il faut se laisser porter, envoûter par cette interprétation d’un autre temps, non point passéiste, mais libre des courants et des modes : hors du temps.
La caméra du réalisateur Jim Gable nous invite à le suivre pour un Concerto no. 2 de Brahms enregistré au Jerwood Hall de St Luke's, Londres, les 26, 27 et 28 mai 2009.
Le montage est vivant et le plus souvent musical, à l'exception de certains plans montrant des musiciens qui ne sont pas mis en avant par la prise de son, d'où une respiration visuelle parfois contrariante.
De même, le regard du pianiste est fort peu souvent capté, à l'inverse de ses mains très expressives.
Le Brahms de Joaquín Achúcarro respire, chante, touche et si le drame interne qui sous-tend l’œuvre peut paraître un tantinet gommé au profit d’une certaine ampleur, qu’importe !
Il se dégage bien quelque chose d’ineffable de cette interprétation dans laquelle, si le pianiste est naturellement mis en exergue dans ce concerto romantique, il n’oublie jamais qu’il est en dialogue avec un orchestre dans lequel il sait à merveille se fondre.
Cordes et cuivres participent ici à la même démarche.
Joaquín Achúcarro et Sir Colin Davis, complices, font véritablement "sonner" ce concerto, et c’est l’orchestre – le toujours sublime London Symphony Orchestra - qui applaudit en fin de programme… Nous aussi !
Un magnifique récital enregistré au Prado et proposé en bonus illustre en outre très bien toute la vision du piano de l’artiste développée dans le documentaire qui l'accompagne.
Basée sur le refus d’une virtuosité gratuite et une approche humaine, sensible et pudique du clavier, on ne saurait passer à côté de cette superbe leçon de musique.
Jérémie Noyer