Le bouleversant War Requiem de Britten est une œuvre composée pour chœur mixte et chœur d'enfants, trois solistes et un orchestre avec orgue. La partition mêle le concept traditionnel du requiem romain à des éléments empruntés au poète anglais Wilfred Owen, pacifiste convaincu mort au combat quelques jours avant la fin de la Première Guerre mondiale, alors qu'il s'agit ici d'un manifeste en musique lié à la Seconde.
Le premier atout de cette captation réalisée le 30 mai 2012 est sans conteste la direction du jeune chef d'origine lettone Andris Nelsons à la tête de l'Orchestre Symphonique de la Cité de Birmingham, dont il est le directeur musical depuis 2008. Dès les débuts de l'œuvre, il nous plonge dans un "Requiem aeternam" par une douce entrée pianissimo sculptée jusqu'aux moindres détails grâce à une concentration et une motivation portées à l'image. Il parvient ensuite, en totale rupture, à susciter une énergie vrombissante ! Il y a chez ce chef une précision des gestes et des attaques, mais aussi un pouvoir de retenue qui s'exprime dans le "Kyrie Eleison" par les pianissimi les plus émouvants. Pour le "Dies Irae", il fait preuve d'une énergie grandissante et obtiendra de son orchestre - les cuivres, en particulier - des sonorités toutes mahlériennes et ponctuellement militaires, en rapport avec le sens profond de la partition.
Pour le "Libera me", la mise en place de sonorités piano est à nouveau exceptionnelle. Des percussions presque imperceptibles sont bientôt soulignées par les bois et les cordes, le chef développant une énergie vraiment sidérante. Après la montée progressive en puissance de l'ensemble, il s'entend parfaitement à faire retomber la tension dramatique musicale qui enveloppe une bonne partie de cette section de l'œuvre. Dans le "In paradisum deducant", il nous conduit avec une douceur extrême vers une coda recueillie, suivie par un long silence religieux de l'assistance.
La maestria de la direction et de l'orchestre est parfaitement secondée par un chœur mixte et un chœur d'enfants, en l'occurrence de jeunes filles, lesquels livrent une superbe impression dès le premier mouvement. Durant le "Dies Irae", le sentiment d'inquiétude véhiculé par le chœur mixte fait parfois penser à certains passages des Carmina Burana de Carl Orff et, vers la fin de ce mouvement, il contribue grandement à l'apaisement général de cette page magnifique. Pour l'"Offertorium", le chœur de jeunes filles montre une grande pureté sonore, bientôt soutenue par le chœur mixte, avant un "Sanctus" composé selon le procédé postromantique de la tension/détente, aboutissant à un ensemble d'une dimension quasi triomphante, excellemment soutenue par l'orchestre… Enfin, le chœur de jeunes filles participera avec musicalité à la douceur apaisante sur laquelle se clôt la partition : "Repos éternel… luire la lumière sans fin… qu'ils reposent en paix… !".
Que penser ensuite du maillon essentiel de l'interprétation : les trois solistes - ténor, soprano et baryton ? La voix claire, et le timbre limpide mais affirmé du ténor britannique Mark Padmore, s'accordent à la relative modernité de l'écriture vocale de Britten. Dans le "Dies Irae", quand la tension dramatique retombe, il sait faire preuve d'une très grande tendresse expressive soutenue par les cordes de l'orchestre et par le chœur. Son lyrisme devient bientôt total, se transformant progressivement en duo avec la soprano. Mais, c'est sans doute dans l'"Offertorium" qu'il nous émeut le plus, en duo avec le baryton, lorsque sa voix lance : "Un ange…", accompagnée par le son cristallin de la harpe. Sans doute le passage le plus tendre et le plus beau de toute la partition !
C'est en 2002, à Londres, justement après une représentation du War Requiem, que l'on a commencé à entendre parler de la soprano Erin Wall. Ici, son intervention la plus intéressante se concentre dans le "Dies Irae", lorsqu'on découvre l'étendue de son registre, impressionnant dans les aigus avec ces sauts d'octaves, et la stabilité de son vibrato pour un passage particulièrement difficile à chanter à froid. Un peu plus loin, elle saura apporter des rondeurs très différentes à son timbre, et façonnera autant de splendides pianissimi dans les aigus que de forte vocalisés avec facilité. De la même façon, elle semble très à l'aise face à la projection du "Sanctus", y compris au sein du "Benedictus", où sa retenue parfaitement maîtrisée parvient à s'imposer malgré la présence de l'effectif choral.
Même si Hanno Müller-Brachmann ne démérite pas et ne manque pourtant pas de présence dramatique, on peut trouver que le baryton ne possède pas réellement - vocalement - la rondeur souhaitable et que son autorité parait parfois étriquée. Dans le "Dies Irae", il présente cependant une bonne ligne de chant et une belle capacité à utiliser la voix mixte. De même, il se montrera excellent dans l'"Offertorium", au sein d'un duo assez théâtral avec Mark Padmore, puis dans le "Libera me", à nouveau en duo avec le ténor, sur un texte lié à la guerre de 1914-18.
Cette captation, au final, se montre d'un excellent niveau et ne présente aucune grande faiblesse malgré notre légère retenue face à la prestation de Hanno Müller-Brachmann. L'ensemble des interprètes réunis sous la direction énergique et précise d'Andris Nelsons réussit pleinement à se hisser à la hauteur de ce qu'exigeaient les circonstances exceptionnelles de ce concert. Les Blu-ray et DVD en deviennent hautement recommandables.
Lire le test du Blu-ray War Requiem dirigé par Andris Nelsons
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Jean-Luc Lamouché