Monter un opéra de Wagner constitue de nos jours un des plus grands défis à tout metteur en scène. En effet, l’œuvre lyrique de Wagner, dont bien sûr Tannhäuser, enserre sa narration entre l'histoire médiévale et le mythe. Le champ des possibilités s'avère donc des plus étroits et, entre armures et costumes trois pièces, entre peaux de bêtes et vestes à la mode, entre châteaux ou grottes et halls de gares ou demeures bourgeoises, le passage de l'"authentique" à une interprétation contemporaine constitue un choix périlleux.
Nous avions envisagé la possibilité d'une "troisième voie" dans notre critique de la production de Tannhäuser signée Kasper Holten à Copenhague en 2009. Il s'agissait alors de repenser complètement la dramaturgie de base de façon à orienter le spectateur vers une véritable réflexion nouvelle sortant complètement des habitudes visuelles. Tout l'art consiste alors à construire du totalement neuf sur de l'ancien.
Dans cette production du Liceu filmée en 2009, malgré quelques belles réussites plastiques, simples mais efficaces, l'adaptation moderne de Tannhäuser ne remplit pas toutes ses promesses. Ici, la transposition développe une réflexion sur la condition de l'artiste soumis socialement au poids des commanditaires et, personnellement, à l'influence des femmes. Pour Robert Carsen, Tannhäuser est un artiste peintre dont l'art peine à être reconnu dans un premier temps, mais qui finira finalement accroché au mur d'un musée. On ne verra jamais la face peinte des toiles. Toujours tournées vers le fond de scène, elles seront d'ailleurs l'objet d'effets visuels assez réussis : les croisillons de bois du cadre de la toile feront penser par moments aux boucliers des croisés couverts de sang. Mus par les pèlerins, ils deviendront à l'Acte III des châssis sans toile. Il s'agit là d'un des rares effets visuels de tout l'opéra. En effet, le metteur en scène ne s'embarrasse pas d'un décor envahissant et le réduit à l'essentiel pour les Actes I et III. L'Acte II affiche une recherche un peu plus poussée et se déroule durant un vernissage dans une galerie d'art ou un musée aux parois réfléchissantes comme du verre. Le matériel du peintre reste ainsi une thématique récurrente. Il est d'ailleurs amusant de constater qu'un simple matelas posé au sol et recouvert d'un drap blanc synthétise à lui seul toute l'action scénique initiale. Mais, ce qui peut paraître dès les premières secondes comme une audace dont le Liceu est coutumier, deviendra beaucoup plus statique et conformiste au fur et à mesure que l'on avancera dans l'opéra.
La confrontation entre le Tannhäuser de Peter Seiffert et la Vénus de Béatrice Uria-Monzon accroche particulièrement l'intérêt : Tannhäuser, en proie au vertige créateur face à une Vénus diaboliquement tentatrice. Notre Carmen nationale troque donc ici ses habits de bohémienne contre un habit de chair et un drap blanc. Sans en faire trop, la voix est toujours stable et bien sonnante, très chaude et timbrée. Le ténor se montre tout en puissance, davantage qu'en nuances, et les longues tenues sur les notes puissantes ont une tendance nette au vibrato. Élisabeth est présentée comme un personnage de solide blonde qui s'identifiera complètement à Vénus dans l'Acte III en reprenant la pose et l'apparence, soit une entorse au livret original à la toute fin de l'œuvre. Mais Petra Maria Schnitzer est sans doute la plus belle et la plus stable voix à même de chanter Élisabeth. Les trois airs successifs d'Élisabeth, de Wolfram et de Tannhäuser à la fin de l'Acte III permettront par ailleurs d'apprécier à tour de rôle la performance vocale de chacun.
Markus Eiche (Wolfram) tout comme d'ailleurs Günther Groissböck (Hermann) ont des timbres aux couleurs similaires, assez massifs et compacts en voix de tête. Sans se montrer désagréable, leur émission manque toutefois d'ouverture. Sur le plan scénique, il ne se dégage pas de ces personnages une émotion particulière puisque tous deux limitent sans doute volontairement toute extravagance gestuelle et expressive. Cela semble du reste un point commun à l'ensemble de la distribution, hormis une Vénus expressive en Diable !
Ce qui semble un peu contrit sur le plateau se retrouve par ailleurs dans la fosse et jamais, sur toute la durée de ce Tannhäuser, l'Orchestre du Liceu ne décollera réellement sous une direction enfiévrée. La très grande Ouverture - Bacchanale du premier quart d'heure est accompagnée d'une agitation un peu vaine sur le plateau alors que la musique peine à s'animer. Un manque général de passion plombe en définitive cette production espagnole dont autant la mise en scène que la direction musicale auront du mal à maintenir un intérêt soutenu durant plus de trois heures.
À noter : L'Acte I est proposé sur le DVD 1 (70'49) ; les Actes II et III sur le DVD 2 (131').
Lire le test du Blu-ray Tannhäuser mis en scène par Robert Carsen au Liceu
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Nicolas Mesnier-Nature