La Walkyrie (Die Walküre) comprend, tout comme L'Or du Rhin (Das Rheingold), quatorze rôles. Mais si l'on isole les huit Walkyries, les six autres personnages accaparent durant des scènes entières quasiment la durée de l'opéra. Pour obtenir un bon résultat global, il est par conséquent absolument nécessaire de réunir des têtes d'affiche capables de soutenir le poids écrasant qui leur incombe.Après un prélude tempétueux figuré de troncs d'arbres vidéo projetés sur les fameuses vingt-quatre pales mobiles de l'unique décor, Siegmund et Sieglinde apparaissent enfin dans une atmosphère sombre. Jonas Kaufmann possède l'organe du heldentenor wagnérien idoine : puissance, sûreté des attaques, excellence des tenues de notes et timbre d'airain. D'aucuns pourraient être gênés, toutefois, par les effets de glotte sur certaines chutes ou au commencement de certains phrasés. Mais il y a un aspect vivant et engagé dans l'instant qui permet de neutraliser l'émission d'un trop beau chant qui rendrait une présence sur scène bien artificielle. Sa partenaire Eva-Maria Westbroek, manque sans doute parfois d'une bonne assise, mais son chant demeure très ouvert et fluide. Physiquement, Siegmund et Sieglinde possèdent une même chevelure, choix naturaliste assumé, tandis que, sur le plan scénique, des effets de neige un peu faciles, et les redondances projetées en ombre chinoise sur le décor en écho au récit de Siegmund sur ses origines et son histoire sont bien peu utiles.
Hunding (Hans-Peter König) apparaît étrangement comme un colosse bienveillant, tout à fait à l'encontre de l'approche habituelle de ce rôle. Fafner dans L'Or du Rhin, il incarne ici le mari jaloux de la Walkyrie. Pourtant, Hunding n'inquiète pas. Sans doute aurait-il fallu davantage de graves à l'interprète pour vraiment terroriser son monde, d'autant que son allure un peu débonnaire de géant blond ne va pas vraiment en ce sens. Mais la prestation reste honnête à défaut d'être inoubliable. La tension énorme qui devrait emporter tout ce début, avec ses non-dits et ses jeux de regards - assez bien mis en valeur par les caméras - retombe de ce fait un peu à plat. La Scène 3 de cet Acte I finira cependant par une envolée lyrique de l'orchestre qui nous laissera sur une bonne impression conclusive.
L'acte II, central, permet de retrouver tous les personnages principaux. Après le visionnage de L'Or du Rhin, nous ne nourrissions aucun doute sur la prestation idéale du Wotan de Bryn Terfel, et c'est pour ainsi dire un pléonasme de préciser ici la qualité de la continuité interprétative du chanteur. La partition écrasante ne l'empêche nullement de développer tout son talent expressif au service d'un rôle qui le place à la fois aux prises avec son épouse jalouse et ses filles rebelles pourtant soumises, mais aussi face à des sentiments les plus contradictoires. Troquant son armure romaine du précédent opus pour celle d'un chevalier du Moyen Âge, bandeau métallique sur l’œil gauche, le baryton basse donne la formidable puissance et la douceur tourmentée requises par le rôle.
Face à lui, la Fricka de Stephanie Blythe nous avait posé quelques problèmes lors du prologue : physiquement mal assortie à Wotan, elle n'imposait pas l'épouse jalouse et dominatrice voulue par Wagner. La voix s'exprimait dans son registre mais possédait un petit vibrato légèrement désagréable. Dans La Walkyrie, nul doute que la mezzo-soprano a su faire évoluer son personnage. Bien qu'installée sur un trône digne de figurer dans les accessoires d'un film d'Heroic Fantasy comme Conan le Barbare, l'épouse jadis dominée s'est muée en digne femme bafouée qui sait également se montrer touchante. Elle reprend la main vocalement par un son, cette fois, parfaitement assis, puissant et frondeur, propre à tenir la dragée haute à Bryn Terfel. Cela chante fort, les répliques fusent, le ton monte et Wotan se soumet. L'ovation de la cantatrice après le tomber de rideau sera grandement méritée.Venons-en maintenant à la partie tant attendue de Brünnhilde.
Deborah Voigt interprète ici pour la première fois un des rôles les plus lourds de l'histoire de l'opéra. Habituée à des rôles chargés, la soprano américaine ne convaincra pourtant pas totalement. Fidèle du Met, le public l'ovationnera, mais qu'en aurait-il été à Bayreuth ? Le timbre de Deborah Voigt laisse en effet perplexe car la Brünnhilde jeune guerrière se transforme avec elle en Brünnhilde mature. Un manque net d'homogénéité vocale, une tendance fâcheuse à compenser cette faiblesse par un vibrato permanent et la tendance à forcer le son desservent considérablement sa crédibilité. Ceci posé, l'aisance vocale relative pourra être interprétée comme expression de la fragilité du personnage. Il est vrai que le chant est expressif et que la soprano est une bonne actrice. Elle sait porter avec assurance et bienveillance armure, lance et bouclier - le metteur en scène ayant eu la très bonne idée de lui faire grâce des encombrantes et improbables ailes en plumes traditionnelles -, mais elle parvient aussi à nous toucher dans le rapport fille/père savamment construit avec le Wotan de Bryn Terfel.
La mise en scène de Robert Lepage reste fidèle à son parti pris pour L'Or du Rhin, soit un décor unique qui nous donne au bout de plusieurs heures les prémices de ses limites. Il accroche, certes, le regard par les images de synthèse - visuellement réussies - qu'il reçoit, mais l'effet de surprise et de découverte est éventé. Nous laisserons découvrir au spectateur l'usage qui est fait du décor pour la Chevauchée des Walkyries à l'Acte III, mais nous nous inclinons devant la réussite visuelle de la dernière composition graphique qui clôt l'opéra.
En l'état, cette Walkyrie s'inscrit en parfaite cohérence avec L'Or du Rhin et propose la vision équilibrée recherchée par Le Met et Robert Lepage : une tradition exprimée par des moyens techniques actuels. Nous attendrons maintenant l'opus suivant, Siegfried, pour savoir comment la forte théâtralité (tout comme celle du Prologue) de cette deuxième journée du Ring, - avec sa forge, son dragon, l'oiseau, le combat - sera pensée.
À noter : Le DVD 1 contient les Actes I et II (5.1 DTS mi-débit, 165'11) ; le DVD 2, l'Acte III (5.1 DTS plein débit, 74'58).
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En France, les différents opus du Ring du Met ne sont pas disponibles séparément, mais seulement en coffret DVD ou Blu-ray rassemblant les quatre éléments de la Tétralogie, accompagnés de l'excellent documentaire Wagner's Dream.
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Nicolas Mesnier-Nature