On aurait pu croire que remonter Les Vêpres siciliennes (I Vespri siciliani) dans le lieu même de sa création italienne à la fin de l'année 1855 allait stimuler l'imagination et doper les chanteurs. Or, il n'en est rien. À croire que les ors pompiers du début du XIXe siècle n'ont fait que stériliser Pier Luigi Pizzi, artisan de cette production, qu'on a connu autrement plus inspiré. Le metteur en scène italien possède une nette prédilection pour les ambiances en camaïeu de grisaille. Mais l'absence quasi totale de couleurs et de chaleur plombe ici gratuitement le rendu visuel des Vêpres, rendu qui ne sera jamais accompagné par une quelconque richesse décorative mais plutôt par des dominantes vertes et bleues de la pire esthétique qui soit pour les visages des chanteurs. Trois barques utilisées au premier Acte seront les seuls éléments mobiles d'un plateau marqué par une symétrie sèche et une symbolique bien peu recherchée…
Le drame des Vêpres siciliennes se déroule en 1282, et la transposition de l'action à la période où Verdi a composé l’œuvre n'apporte elle non plus strictement rien à notre plaisir. Costumes militaires et habits du peuple de cette époque enfoncent même davantage l'impression de monotonie générée par des lumières froides. Un peu de rouge et une robe de mariée sans surprise ne suffiront décidément pas à nous réveiller, d'autant que ces éléments sont présentés dans des situations par trop attendues. Ainsi, le spectateur en proie à un tel sommeil visuel pensera une fois de plus que la richesse politique de l'opéra, certes simpliste et de peu de résonance avec notre actuelle société occidentale, est incapable de susciter un intérêt profond.
Seule la chorégraphie de Roberto Maria Pizzuto viendra réveiller notre attention de cette très prudente représentation. Mais sa répétition mécanique évente rapidement l'effet de surprise. En outre, élargir les limites du plateau du théâtre aux allées et à la porte d'entrée principale de la salle devient de plus en plus courant et n'apporte finalement pas grand-chose. Le miroir accroché au plafond de l'Acte III a lui aussi déjà été vu maintes fois, et sa présence est ici d'une totale gratuité. Heureusement, les quelques contrechamps de caméra réalisés par Tiziano Mancini, artisan de cette captation, renversent sagement nos habitudes télévisuelles.
La pauvreté visuelle de la production fait que nos oreilles sont fortement sollicitées et concentrées sur les interprètes. En effet, déplacements et jeux de scène restent au niveau zéro de l'écriture et sont totalement exempts d'inventivité. Tout cela est même d'un classicisme soporifique…
En dépit d'un nombre de personnages important, seuls quatre rôles soutiennent ces Vêpres siciliennes.
Leo Nucci est sans conteste le meilleur chanteur de cette distribution. Grâce à sa seule voix, le baryton italien donne à son Gouverneur français de Sicile beaucoup de présence. L'âge du chanteur ne semble nullement altérer les moyens et le son demeure entier, chaud et présent. L'interprète connaît certes ses propres limites que l'on pressent dans les forte aigus, mais il a l'intelligence de les contrôler. On aborde donc ses interventions sans crainte, tel l'air de l'Acte III "In braccio alle dovizie", un des grands moments de l'opéra…
Ce n'est malheureusement pas le cas de Daniela Dessi. L'impressionnante collection de rôles de la soprano génoise a visiblement eu raison de son organe, miné par un vibrato permanent qui, s'il est dérangeant pour le médium, est à proprement parler crispant pour les aigus. Le seul emploi féminin conséquent de l'œuvre se trouve donc définitivement hors course, désagréable et geignard dans les scènes d'amour, faible et à bout de souffle dans les moments de désespérance de l'Acte IV, qu'elle aborde à vrai dire naturellement, affaiblie et éteinte.
Cette pauvre prestation porte une ombre fâcheuse au ténor Fabio Armiliato, avec lequel elle a souvent chanté. La voix du chanteur n'est pas exempte de ce que nous considérons comme des étrangetés mais qui peuvent ne pas déranger tout le monde : un placement des aigus en deux temps avec une recherche de la note basse qui sert alors de tremplin à la note haute, alors projetée subitement et sans finesse ; des notes de tête très étranges pour des aigus en douceur, comme si la possibilité de pianissimo en voix de poitrine s'avérait impossible. Dans la Scena e duetto de l'Acte II, les notes avalées sonnent de curieuse façon, et le duo avec la soprano synthétise à lui seul notre sentiment mitigé. Pourtant, reconnaissons à Fabio Armiliato une belle tenue de son, solidement charpentée, ce qui le situe loin des ténors italiens ténorisants de manière métallique, sans profondeur et nasillards, qui occupent nombre de scènes italiennes.
Giacomo Prestia est une basse régulière mais elle aussi un peu affaiblie, au vibrato et aux limites qui ne cessent jamais de s'exposer.
Leo Nucci, seul chanteur presque irréprochable et non omniprésent sur scène n'est décidément pas suffisant pour faire de ces Vêpres siciliennes une version italienne de référence. Pour un opéra si long composé sous l'influence stylistique du Grand Opéra à la française, le vide abyssal creusé par le manque consternant d'imagination théâtrale et par la faiblesse d'une distribution qui ne rattrape rien, est fatal à l'entreprise. On attend encore une version à la hauteur et digne de Verdi des Vêpres siciliennes.
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Nicolas Mesnier-Nature