L'Ouverture très connue de La Force du Destin annonce la musicalité de toute la représentation en raison de la présence de l'orchestre du Wiener Staatsoper, luxueuse formation en grande partie composée de membres du Philharmonique de Vienne. Zubin Mehta lui imprime des tempos posés et une dynamique non excessive dans le respect des chanteurs tout en suivant une trajectoire très classique. Le timbre émanant de la fosse et le grand professionnalisme des instrumentistes ne seront de fait pas pour rien dans le résultat final.Comparé à la réussite exemplaire signée avec La Passagère de Weinberg, le metteur en scène David Pountney déçoit énormément dans cette Force du Destin par son manque d'imagination et une dramatisation sans force qui frôle le ridicule. L'Ouverture se présente telle une bande-annonce visuellement surchargée d'images de synthèse qui anticipent le spectacle qui nous attend. La décoration est minimaliste mais des éclairages saturés soutiennent l'action scénique. Seul l'Acte III s'encombre d'escaliers métalliques mobiles. Notre imagination fera ce qu'elle pourra pour s'accrocher à des repères géographiques et temporels, malgré le soutien de la projection de films d'époque relatifs au second conflit mondial. Le livret original se déroule sur plusieurs années, or le metteur en scène a fait le choix de rétrécir le temps. Mais cela ne nuit globalement pas à la compréhension d'une intrigue assez décousue. Le seul vrai fil conducteur sera visuel : deux épées rouges, symboles du Destin.
Le bât blesse en revanche davantage au niveau de la chorégraphie et nous resterons dubitatif devant une pseudo revue de cabaret hollywoodienne avec danseurs bible en main prônant la guerre. Il faut beaucoup de constance à Nadia Krasteva (Preziosilla) pour apparaître, comme les danseurs, vêtue d'un costume de "cow-boy" rouge vif avec pantalon collant noir orné de motifs blancs baroques, ceinturon, chapeau bordé de velours et pistolet au poing ! Deux possibilités s'offrent à nous : attendre que cela passe ou rire franchement ! Les chanteurs ont globalement du mérite de parvenir à trouver leur place dans ce contexte de Seconde Guerre mondiale, mais la qualité du chant est heureusement d'un autre niveau.
Alastair Miles tient le double rôle du Marquis, assassiné dès l'Acte I, et du Père supérieur franciscain Guardiano. Si, dans un premier Acte en demi-teintes, la voix de la basse anglaise reste un peu en retrait et a du mal à s'imposer pleinement face à ses partenaires, en particulier en regard de Nina Stemme (Leonora), son talent explosera par la suite.
Totalement absente de l'Acte III, la soprano incarne pourtant fort bien une Leonora torturée et victime du Destin. Le chant se fait expressionniste, très engagé, et même si les graves sont un peu faibles, le medium et les aigus s'épanouissent librement, riches de couleurs. En synthétisant les diverses évolutions du personnage, l'air final "Pace, mio Dio !" est tout simplement grandiose.
Le talentueux baryton Carlos Álvarez joue à fond la noirceur du personnage du frère vengeur Don Carlo. Puissance du chant très en avant et expressions de circonstance, il impose avec aisance ce personnage porteur de mort, obsédé par la recherche de son honneur.
Son principal partenaire, Don Alvaro, est incarné par le ténor Salvatore Licitra. Trois ans avant son décès accidentel, il livre ici un Don Alvaro d'une grande beauté vocale, très bien timbré, puissant et non criard, très coloré dans les différents registres. Son "O tu che in seno agli angeli" est un grand moment d'émotion avec ses splendides aigus portés et tenus. [À noter : Turandot de Puccini édité par Bel Air Classiques est une des dernières captation avec Salvatore Licitra].
La mezzo-soprano bulgare Nadia Krasteva, nous l'avons écrit plus haut, doit composer avec son déguisement de cow-girl et sa voix en pâtit, mal posée et même essoufflée par moments. Il faut dire que la gitane n'a pas été gâtée par Verdi, soyons francs, peu inspiré et plombée de plus par une chorégraphie ridicule.
Enfin, le rôle secondaire de Fra Melitone trouve en la basse roumaine Paul Dumitrescu un interprète qui ne passe pas inaperçu dans un rôle comique difficile à tenir dans le contexte imposé par la présente production. Son allure de religieux enrobé dépassé par les événements s'affirme sans problème grâce à une voix qui n'aurait pas démérité dans les deux autres rôles de l'opéra confiés à cette tessiture.
Cette Force du Destin est donc victime consentie d'une indigente mise en scène, et chaque spectateur sera libre de se montrer plus ou moins tolérant face à ce spectacle par ailleurs fort bien chanté. Mais l'opéra est un ensemble dans lequel tout doit fonctionner et fusionner. Peut-on alors se contenter, en DVD ou Blu-ray, d'une version au seul intérêt musical ?
À noter : Les Actes I et II sont proposés sur le DVD 1 (73"32) ; les Actes III et IV sur le DVD 2 (87'51).
Lire la critique de La Force du Destin en Blu-ray
Retrouvez la biographie de Giuseppe Verdi sur le site de notre partenaire Symphozik.info.
Nicolas Mesnier-Nature