Les chanteurs, tout d'abord… Le baryton Franco Vassallo, dans le rôle de Renato, domine vocalement la distribution grâce à un chant nourri, bien assis et toujours coloré. Dans celui de son ami/ennemi Riccardo, le ténor Massimiliano Pisapia possède une voix plutôt agréable qui ne se départit pourtant pas d'une certaine neutralité dans l'émission très contrôlée, et cette nette volonté de ne pas trop en faire finit par nuire à l'expression. Le rôle travesti d'Oscar est attribué à Eun Yee You, et la soprano sud-coréenne se sort plutôt bien des deux airs "à voltige" que lui réserve Verdi à l'Acte I et à l'Acte III.
La mezzo-soprano Anna Maria Chiuri assure le rôle de la voyante Ulrica de façon très professionnelle malgré un statisme certainement non voulu, tout comme ses partenaires de scène. Son chant abouti, chaud et bien timbré marque son unique apparition à l'Acte II. Ce rôle ne laisse aucune oportunité à l'interprète de se "rattraper" plus tard, si besoin. Enfin, Chiara Taigi est Amelia. La soprano chante ce rôle à pleine voix avec une approche dramatique simplifiée, exempte d'intention particulière.
On pourrait dès lors penser que le bel canto verdien des grandes œuvres d'autrefois, qui a pourtant en partie disparu dans Un Bal masqué, bride sur scène les interprètes dans leur expression. Sans doute, mais en partie seulement, car la volonté du chef va dans ce sens. Le fait est que Riccardo Chailly, grand verdien, sait parfaitement ce qu'il fait quand il s'abstient de transformer cette œuvre en un marchepied vers le "sopranisme" et le "ténorisme" à tout va. Dans Un Bal masqué, l'orchestre verdien commence à devenir commentaire musical et l'écriture se charge de plus en plus d'intentions et de nuances, voire de modernité. Ce que l'on pressentait dans un Simon Boccanegra superbement affiné par le compositeur, et ce que l'on entendra davantage encore dans La Force du Destin, Don Carlo, Aida et les deux chefs-d’œuvre finaux que sont Otello et Falstaff, est contenu en germe dans Un Bal masqué. Alors bravo à Riccardo Chailly de nous faire entendre d'une baguette de maître, et à l'aide de l'excellent Gewandhausorchester Leipzig, qui ne connaît pas que la fosse des théâtres, cette musique contrastée et subtile quand les timbales ne se font pas tonitruantes !
La mise en scène d'Ermanno Olmi, cinéaste reconverti au théâtre lyrique, surprend par sa quasi-non-existence. Est-ce la raison pour laquelle les artistes non dirigés restent figés ou bougent gauchement, laissés à eux-mêmes ? L'animation simpliste de danseurs du bal masqué de l'Acte III paraîtrait presque inaperçue si les caméras ne forçaient les gros plans pour apporter quelque dynamisme. Et que dire des costumes d'Arnaldo Pomodoro ? On pourra les trouver standard pour une partie des chœurs, curieux et à la limite du ridicule pour les gardes, et encombrants et peu pratiques pour les solistes. Au finale Chiara Taigi et Massimiliano Pisapia ne paraissent-ils pas heureux de retirer leur masque ! Mais il y a pire, voire carrément invraisemblable : Ulrica transformée en acarien porc-épic, tout comme Oscar à la fin de l'œuvre, mais hérissé de clous ! Disons-le clairement, ces costumes hors du temps n'apportent rien ! Quant aux décors du même auteur, ils penchent nettement vers les années 1920-1930 et leur style géométrique. Là encore, il n'y a guère de sens par rapport à ce que l'on entend et ce que l'on voit.
Une fois de plus ce Bal masqué est en proie aux divagations esthétiques sans portée qu'on lui impose et qu'on inflige au spectateur. Pourquoi les metteurs en scène oublient-ils qu'un opéra est un spectacle total ? Que l'un ou l'autre des éléments qui le composent nous laisse dubitatif, et l'impression d'ensemble s'en ressentira fatalement. Dans cette production, les artistes sont physiquement mal à l'aise. Ils font tout pour passer outre mais cela s'en ressent un peu. Encore une production à écouter plus qu'à voir.
Pour Riccardo Chailly…
Lire le test du Blu-ray Un Bal masqué à l’Opéra de Zürich en 2005
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Nicolas Mesnier-Nature