Un orgue gigantesque trône en fond de scène. Ce sera le seul décor imaginé par Annette Kurz pour ce Theodora. Pertinent et subliminal, il nous rappelle que l’instrument roi est tout aussi bien, depuis Pépin le Bref, le vecteur privilégié de la foi à travers la musique, que l’accompagnateur attitré du massacre des chrétiens dans le Circus Maximus sous les yeux d’un Néron qu’on dit le premier grand organiste - en fait, joueur d’hydraule - de l’histoire.
L’instrument fait donc le pont entre l’antiquité romaine et l’ère chrétienne à l’instar de cette histoire écrite en 1749 par Thomas Morell pour Handel sur le martyre d’une chrétienne de haute naissance et celui de son amoureux, Romain d’extraction, converti par sa promise à la foi nouvelle.Troisième oratorio "chrétien" de Handel après Le Messie et La Résurrection, c’est aussi sans doute le plus intérieur et le plus tourmenté. Une certaine réticence de la part des producteurs de concerts à monter cette œuvre en format oratorio peut s'expliquer par sa durée. Quant aux directeurs d’opéras, ils la jugent souvent peu "visuelle". On se souvient malgré tout que Peter Sellars, jamais avare de défis, avait relevé le gant à Glyndebourne en 1996. Alors, quitte à faire, autant se lancer dans une mise en scène, même discutable, que de se rabattre sur le silence. Heureusement, car sinon cela nous aurait privés de cette magnifique production.
Discutable, le travail scénique de Christog Loy l’est.
D’un côté, il est vrai, on ne pourra qu’apprécier la subtilité de la démarche. Du point de vue gestuel, tout est lié aux vêtements : smokings et autres robes de soirée, sobres au demeurant : chaque détail compte. Un nœud papillon qui se dénoue suffit à rompre le fragile équilibre de cette société qui sent bien qu’elle s’effondre et qui repose uniquement sur une apparente tradition.
Mais de l’autre, il faut parfois dépasser le visuel pour réellement apprécier la musique. Bejun Metha a beau chanter comme un dieu, quand il le fait en marcel et caleçon, cela apporte une autre dimension à son air, peut être un peu trop terrestre, même si cela se justifie idéologiquement…
Toujours sur le plan visuel, grâce soit rendue au réalisateur Hannes Rossacher qui a su animer cette scénographie somme tout assez statique par la multiplication des caméras, et en attrapant au vol les expressions des visages de tous les protagonistes, chœur compris, toujours éloquents, à fleur de peau, ce qui rend d’autant plus palpable la détresse, le désarroi ou même l’angoisse de cet empire romain finissant qui nous rappelle étrangement notre propre époque.
Sur le plan musical, en revanche, c’est un ravissement de chaque instant. Bernarda Fink campe une Irène forte et lyrique à l’opposé du Valens au timbre gouleyant, mais parfaitement malsain, de Johannes Martin Kräzle qui, à ce titre, sert fort bien le rôle.
Le timbre de Joseph Kaiser dans le rôle de Septimius est lui aussi magnifique, avec de très beaux aigus et une émotion toute d'élégance et de retenue, en particulier dans les Parties II et III. Malheureusement, son articulation laisse cruellement à désirer dans la première partie.Venons-en maintenant au duo de tête. Sublime de bout en bout, il exprime une merveilleuse complémentarité entre les vocalises bouleversantes d’émotion et de justesse de Bejun Mehta, toujours aussi miraculeux, et la force poignante vocale et dramatique de Christine Schäfer.
Quant à l’orchestre, les timbres du Freiburger Barockorchester sont toujours aussi fruités, suaves et expressifs, sans compter un continuo présent et imaginatif, mené avec un véritable enthousiasme par le chef Ivor Bolton, sans que jamais cette vigueur ne porte atteinte à la dimension spirituelle de l’œuvre.
Cette Theodora signe une magnifique réussite musicale à laquelle cette mise en scène apporte un véritable éclairage, une vraie pertinence, à défaut d’une réelle séduction.
À noter : Le DVD 1 contient la Partie I ; le DVD 2, les Parties II et III.
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Jean-Claude Lanot