Quelques mois avant de décéder à 38 ans au milieu de ses chats et de ses chrysanthèmes à Assas en juin 1989, Scott Ross a été filmé par les caméras de Jacques Renard à la Villa Medicis de Rome. Bien que malade et affaibli, toute sa lucidité restait intacte, permettant au musicologue et à l'homme de se dévoiler.
Deux compositeurs sont l'objet du présent documentaire : Bach et Couperin. Un court morceau de Rameau, Le Vézinet, sera interprété en public en fin de programme.
Structurés sous forme de leçon avec élève et de commentaires assez brefs en solo face caméra en réponse à des questions posées en voix off par le réalisateur, les sujets soulevés restent toujours d'actualité plus de 20 années après.
Première constatation : notre incapacité absolue et définitive de connaître les sons entendus par les musiciens baroques. De ce principe, simple mais essentiel, qui a le mérite de mettre tout le monde d'accord, découle toute la réflexion de la conception musicale que l'on peut mener à un moment sur un style d'interprétation donné. Car le subjectif et le relatif qui en résultent permettent de proposer différentes réponses.
Dans un premier temps, si l'on ne peut savoir quels sons étaient produits, on peut par contre voir les mêmes peintures, les mêmes sculptures et les mêmes architectures que les hommes du passé. Et pour Scott Ross, les deux caractéristiques principales de l'"Early Music"sont l'ouverture des formes et les contrastes, principes qu'il faudra retrouver dans le jeu instrumental.
Dans un second temps, la seule façon de comprendre la musique et de parvenir à quelque chose de cohérent est une approche analytique secondée par la connaissance de l'instrument pour lequel le compositeur a écrit.
Le problème majeur pour un artiste dont la spécialité est la musique dite ancienne reste en fait l'évolution de la musicologie car il s'agit d'être en phase avec elle et de suivre son évolution. Elle ne pourra cependant pas compenser toute une transmission orale de l'art de jouer un instrument qui n'a jamais été écrite puisque tenue pour évidente à l’époque.
Toutes ces considérations musicologiques, simples mais essentielles, nous permettent d'appréhender l'homme qu'était Scott Ross.
Le claveciniste parle de lui et des autres dans un style franc, versant par moments dans la polémique, tant en ce qui concerne ses "confrères hérétiques" Glenn Gould, Vladimir Horowitz, Wanda Landowska, Maria Tipo ou d'autres collègues "anciennistes attardés" dont il ne cite pas les noms. Ses rapports avec ses élèves lors des leçons ne mettent en évidence qu'une
partie de sa personnalité qu'il se plaît à compléter brièvement en répondant aux questions du réalisateur.
La petite heure que dure le documentaire ne permet pas de longs développements mais concentre parfaitement le propos.
Peu protocolaire, à la tenue vestimentaire – bonnet et pull noir – loin des poncifs du concert classique, l'enseignement prodigué par Scott Ross est d'une grande clarté. À l'aide de mots simples, il reprend le jeu de son élève en lui donnant quelques indications précises, s'installant lui-même au clavier pour illustrer son discours, l'exemple valant mieux que des mots.
Quelques vues extérieures des monuments de Rome serviront de ponctuations entre les leçons, construites de manière régulière en diptyque leçon/interview.
Quant à l'idée principale du film, elle restera ambiguë tout en gardant une ouverture sur l'avenir, à l'image de cette phrase de Scott Ross : "Nous pensons que nous sommes proches d'une bonne interprétation de la musique ancienne, mais nous nous leurrons complètement, parce que dans 20 ans ce sera complètement autre chose".
À noter : Les interventions en italien sont sous-titrées en français.
Nicolas Mesnier-Nature