Les compositeurs prolixes sont une manne pour les producteurs, et Rossini en fait définitivement partie. Son œuvre opératique est si importante et si clairement éditée qu’il suffit de piocher dedans pour en sortir une rareté qui fera les délices des musicographes ainsi que des amateurs en mal d’inédit.
Zelmira n’est pas a proprement parler un opus inconnu, mais il fait assurément partie des opéras les moins populaires de l’enfant de Pesaro. Dernier opéra "napolitain" de Rossini, créé le 16 février 1822, il fut boudé des scènes internationales jusqu’en 1965. La faute à un livret parfois invraisemblable et à une difficulté sensible des parties vocales, notamment pour les ténors… Ceci étant, l’indigence de sa représentation au catalogue fait de cette première en Blu-ray et DVD un événement en soi, insuffisant cependant à générer chez nous l’enthousiasme a priori. Car l’enthousiasme naît bien du contenu et non de son emballage.
Avec des moyens modestes – en comparaison avec d’autres grands rendez-vous lyriques -, le Festival Rossini de Pesaro a su tout d'abord réunir une pléiade de grands noms qui ont su sublimer cette partition ardue. Face à un Gregory Kunde plus comédien que chanteur avec sa projection limitée et son timbre étriqué, Juan Diego Flórez éblouit littéralement. Finalement assez classique dans sa stature et son interprétation d’un rôle très archétypal, il apporte une véritable lumière au personnage d’Ilo, mari abusé par les circonstances, mais qui retrouve la confiance en son épouse. Le pensum des traits virtuoses se transforme avec lui en une cascade de mélismes dont l’évidence et la suavité occultent avec art la technicité.
Quant à la Zelmira de Kate Aldrich, elle convainc sans peine par son implication et son incarnation vibrante du rôle-titre, combattant avec courage et intelligence l’usurpation du trône de son père. Beaucoup de charisme, de puissance et en même temps d’élégance dans son interprétation, défendant le rôle comme rarement ce fut le cas, et lui donnant une véritable actualité.
Enfin, Alex Esposito, roi déchu, nous emporte avec lui dans sa chute avec un désespoir qui n’a d’égal que la noblesse de son chant, profondément humain. Ses qualités d'acteur apportent à Polidoro une consistance assez unique par un regard et une posture qui parviennent à communiquer une gamme étendue d'émotions.
Or, si l’implication des interprètes ne peine jamais à nous convaincre, c’est l’orchestre qui nous étonne réellement. C’est un aspect mal connu et même mal compris de Rossini qui s’ouvre à nos oreilles. Romantique, subtil, émouvant. Écoutez ces lignes de cordes, ces échanges suaves avec les bois, et surtout cette harpe d’une délicatesse à tomber. Un Rossini orchestrateur à des années-lumière des crescendos mécaniques dont on l’affuble parfois et auxquels on le réduit trop souvent. Le tout dirigé par Roberto Abbado avec un véritable amour pour ce matériel qui résonne avec délices au cœur de sa ville natale !
Quant à la scénographie, pour maladroits que soient certains changements à vue et certains effets de miroirs instables, il convient de prendre en compte le fait que la salle a été construite en plein milieu d’une salle de sport. De fait, la machinerie réduite au minimum nous pousse à admirer encore davantage le travail réalisé par les équipes du Festival, sous la houlette de Giorgio Barberino Corsetti. Avec peu de moyens, ce dernier a réussi non seulement à donner une actualité à cette histoire d’usurpation (mais d’autres avaient déjà tenté l’expérience, notamment dans Haëndel), mais surtout à trouver une manière simple et efficace de représenter les différents niveaux de l’intrigue. Très bien expliqué dans les suppléments du programme principal, le dispositif consiste en un espace situé sous la scène, entre la prison et les catacombes, reflété par des miroirs situés au-dessus de la scène, afin de révéler au public les "dessous" de la dictature naissante. Saluons par la même occasion les chanteurs qui ont pu se glisser en temps et en heure dans cet espace et parvenir à chanter malgré son étroitesse.
Ceci en dit long sur l’implication de la troupe et participe définitivement à la réussite de ce Zelmira édité par Decca !
À noter : L'Acte I est proposé sur le DVD 1 (111'41) ; l'Acte II sur le DVD 2 (80'46).
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Jean-Claude Lanot