Le public aura pu assister à plusieurs reprises au Théâtre du Châtelet, en 2002, à ce Coq d’or mémorable mis en scène par Ennosuke Ichikawa. Mais, s'il gardera longtemps à l’esprit la beauté visuelle des décors de cette production, celle des costumes et la magie de son abondance de couleurs lumineuses, la version filmée par Thomas Grimm ne peut se hisser au sentiment ressenti dans la salle parisienne. On atteint probablement, avec ce programme, la limite de ce que peut apporter une captation images et son en regard du spectacle vivant. Mais ce témoignage magnifique s'impose malgré cette réserve.
L’Orient de Rimsky-Korsakov, rêvé ou imaginé - il ne verra jamais son ouvrage sur scène ! - est ici celui, subtil et convainquant, d’Ennosuke Ichikawa, en parfait accord avec la musique qui l’accompagne. Production classique dans sa mise en scène, ce Coq d'or échappe de justesse à la convention pour nous conquérir rapidement, sinon nous submerger par l’usage architectural du plateau et son occupation quasi saturée à plusieurs reprises. À l'inverse d’une économie de moyens, on assiste de fait à une vraie conquête de la scène, des couleurs et de la lumière. On a rarement vu sur un plateau autant d’éléments accompagner un ouvrage sans le dénaturer ni en trahir la narration. Pourtant, cela fonctionne parfaitement, sans tomber dans un kitsch qui serait fatal, et décors, costumes et effets rivalisent d’enchantement visuel. Rien de révolutionnaire, bien sûr, mais un univers onirique magistralement recréé, et l’envoûtement qu'il opère sur le spectateur.
La distribution vocale réunie sur la scène du Châtelet n’appelle aucune réserve. On peut même parler de grande réussite car on ne saurait reprocher à la mezzo-soprano Elena Manistina (Amelfa) une justesse parfois vacillante tant le timbre est généreux, pas plus qu'au Prince Guidon ou au Prince Afronui quelques monotonies passagères. À commencer par le splendide Roi Dodon d’Albert Schagidullin ou l’astrologue, sage mais efficace, de Barry Banks (un des rares rôles "ténor altino" dans l’histoire de l’opéra), les interprètes de cette distribution rivalisent d'efficacité. Le chœur du Théâtre Marinsky de Saint-Pétersbourg se montre en outre splendide, d’une immense homogénéité et d’une quasi-perfection musicale.
De son côté, l’Orchestre de Paris, probablement peu rompu tant à l’opéra de Rimsky-Korsakov que, plus largement, au genre lyrique - qui n’est pas sa vocation - rivalise d’engagement. La formation montre une évidente volonté de s’affranchir des sonorités, des phrasés et du style de la musique romantique allemande, répertoire dans lequel elle est plus systématiquement entendue. Cependant, nous n'atteindrons pas complètement les sommets de magie sonore auxquels la partition nous invite. L'orchestre, peut-être bridé par la direction quelque peu rigide de Kent Nagano, laquelle ne laisserait pas assez d’espace au caractère "improvisé", peine à atteindre cette dimension dans certaines plages orchestrales. En aucun cas cette rigueur ne permet, dans cette interprétation, de déployer l’univers magique, quasi onirique qui constitue l’essence même du livret et de la partition. Les cadences instrumentales, les ornements et les mélopées ancestrales ont du mal à se départir d'une certaine austérité qui ne parvient pas à libérer les volutes qu’un Svetlanov et son orchestre savaient répandre de façon unique. Mais, ne boudons pas notre plaisir, car on savoure les climats magiques que la partition offre si souvent, et la belle perspective harmonique que de nombreux passages déploient.
Ce Coq d'or en Blu-ray ou DVD constitue un vrai régal qu’il est urgent, ou en tout cas vivement recommandé, de découvrir ou de revoir, pour ceux qui ont eu la chance d’être émerveillés au Châtelet lors de représentations mémorables…
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Gilles Delatronchette