En 1975, le metteur en scène John Cox et le décorateur David Hockney imaginaient pour The Rake’s Progress de Stravinsky une scénographie librement inspirée des gravures de William Hogwarth datant de 1735. Juste retour des choses pour le peintre dont la série de tableaux homonyme a elle-même inspiré le compositeur pour écrire son opéra-pastiche de l’art lyrique classique. Or il s'agit bien d’inspiration et non de copie, car décors et costumes de cette production prennent des libertés et nous projettent dans le XXe siècle avec une cohérence qui fit son succès, tant et si bien qu’elle fut montée plusieurs fois à travers le monde.
Dernière en date, la présente reprise d’août 2010 pilotée par Vladimir Jurowski, dont on a pu réellement apprécier le Don Giovanni disponible en DVD chez EMI Classics. Pour autant, bien que rompu à la stylistique mozartienne à laquelle il avait su donner un éclairage aussi respectueux qu’inédit, c’est vers les origines russes du compositeur que se tourne ici l’indomptable chef d’orchestre, avec des timbres débordant de matière et de mordant. Sans jamais délaisser le raffinement, une puissance inexorable se dégage de cette direction mordante, brutale, tout sauf distanciée. Le traitement des numéros choraux, impressionnant de maîtrise et de charisme, n’a de fait plus grand-chose de mozartien, et chaque détail est sculpté, puissamment gravé dans le marbre, à l’image de cette descente aux enfers.
Côté plateau vocal, le trio Rakewell, Trulove et Shadow domine nettement une distribution très honorable dont l’expérience mozartienne apporte précisément le contrepoint nécessaire à l’orchestre dans un équilibre idoine comme rarement cette partition en a connu.
Topi Lehtipuu campe un Tom Rakewell plus dramatique que réellement suave et sa prestation ne laisse aucun doute sur les intentions du personnage. Point d’hédonisme ici, mais une véritable efficacité, un sens du rôle et une présence sur scène déjà très affirmée pour ce jeune chanteur plein de promesses. Miah Persson, figure bien connue de la scène salzbourgeoise, se montre à la fois totalement convaincante, séduisante, mais surtout touchante dans le rôle d'Anne Truelove. Quelle maîtrise dans cette prestation de la soprano suédoise que d'aucuns se plaisent à comparer à Renée Fleming !Enfin, le Nick Shadow de Matthew Rose est un démon comme on les aime, robuste et lyrique à la fois. Le timbre, stable et chatoyant, offre un bonheur comme souvent les "méchants" peuvent en apporter
Au final, c’est un kaléidoscope d’influences et de styles parfaitement maîtrisé que nous propose Glyndebourne avec ce Rake's Progress à la fois intelligent et beau. Si de nouveaux axes sont révélés, la cohérence avec l'œuvre demeure totale, à l’instar de la réalisation de François Roussillon, toujours élégante dans sa sobriété, impeccable dans sa subtilité, avec cette légère distance qui en constitue la signature.
Une captation à connaître de toute urgence !
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Jean-Claude Lanot