Alors qu'il profitait d'un nécessaire congé sabbatique de quelques mois, la flamme de Philippe Jaroussky était gardée intacte avec ce programme passionnant concocté par le label Virgin Classics. Opportunément intitulé "La Voix des rêves", cet "album de souvenirs" (comme le qualifie le livret) ne fait bien que confirmer ce que nous savions déjà, à savoir que Philippe Jaroussky compte parmi les contre-ténors les plus renversants de notre époque.Une voix cristalline, une évidence et un naturel, et presque une discrétion qui ne laissent pas indifférent. Un miracle, comme on le perçoit dans ce Sol da te de Vivaldi suspendu dans le temps, duo sublime et éthéré avec le traverso de Jean-Marc Goujon.
En parlant de duo, ceux-ci ne manquent pas, que ce soit avec Nuria Rial ou encore Anne Sofie Von Otter. Mais nous retiendrons principalement ceux avec Marie-Nicole Lemieux* et Pascal Bertin. Si la première pèche par une articulation assez approximative, sa complicité avec Philippe Jaroussky fait ici merveille, et c’est un régal de voir les deux se chercher, se confronter avec humour, jouer avec le public dans une délectable triangulaire entre eux et les spectateurs, pris à partie dans leur débat musical. Avec Pascal Bertin, la différence se ressent notamment dans la projection des deux chanteurs, mais ils se rejoignent bien vite dans un autre type d’humour : le fameux Sound the trumpet de Purcel passe bien vite de l’Angleterre au Brésil, sous la direction complice d’Emmanuelle Haïm. Une digression contagieuse saisit alors tout l’orchestre ainsi que les chœurs pour un bœuf certes baroque, mais certainement pas dans son acception historique ! Un véritable régal, millimétré comme les meilleurs gags, où tout le monde se fait visiblement plaisir !
* Voir la pétillante vidéo du bis de leur concert au Festpielhaus Baden-Baden le 24 juin 2012, à la fin de cette critique.
Car, sous ses dehors d’enfant sage, Philippe Jaroussky est un polisson qui peut tout oser grâce, précisément, à sa délicatesse naturelle. Les surprises ne manquent donc pas dans ce florilège. Surprises sonores, déjà, car le chanteur sait choisir les ensembles pour l’accompagner, par leur diversité et leur ouverture.
C’est avant tout le superlatif ensemble Matheus de Jean-Christophe Spinosi, qui accompagne depuis longtemps la carrière du contre-ténor. Précision et imagination sont toujours au rendez-vous, un véritable souffle baroque, l’écrin idéal à ce chant magique de par leur complémentarité. Ying et yang musical, l’un souffle le chaud et l’indomptable quand l’autre chante l’élégance et la suavité. La plus belle réconciliation des contraires, idéale dans Vivaldi ou Handel. Plus intime est l’ensemble Artaserse que Philippe Jaroussky a fondé en 2002, plus en phase avec le chanteur dans le sens précis du détail.
Antérieur en style, mais également très moderne, l’Arpeggiata de Christina Pluhar marie les sonorités anciennes des théorbes et du psaltérion (notamment dans Monteverdi) à des touches de jazz et de musique sud-américaine. Los pájaros perdidos est ainsi à tomber. Quelle sensualité dans les notes tenues, dans le déhanché subtil des instruments, prélude à une véritable fête latine. Exit les frontières et autres grincheux qui verraient bien les contre-ténors cantonnés à leurs clavecins et leurs flûtes à bec ! La musique vit et dépasse tous les clivages. Philippe Jaroussky l’a bien compris et n’hésite pas à empoigner le XXe siècle dans toute sa diversité, savante avec Renaldo Hahn - sublime A Chloris, en compagnie de son complice Jérôme Ducros au piano - ou populaire avec un incroyable Le Lion est mort ce soir, mâtiné d’harmonies anachroniques. Le chanteur se paie même le luxe d’une infidélité à son instrument, en se lançant au violon dans un prélude de Chostakovitch en compagnie de Renaud Capuçon ! Une véritable découverte !
Il n’y a rien à jeter dans ce voyage musical parfaitement dosé, programmé avec une rhétorique parfaite des tensions et des détentes, de l’humour et du sérieux, de la virtuosité et de la contemplation. De cet exercice, Philippe Jaroussky ressort, s’il était encore besoin, grandi, et l’on ne manque pas d’être réellement impressionné, séduit et ravi par ce programme.
Philippe Jaroussky n’est pas un contre-ténor. C’est un véritable musicien du XXIe siècle qui sait jouer de son art selon toutes les couleurs de l’extraordinaire palette que le monde peut offrir.
À noter : Ce Blu-ray propose en supplément un documentaire qui est absent de l'édition DVD.
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Jérémie Noyer