Le nom de Pergolèse est le plus souvent spontanément associé à l'intermezzo La Serva Padrona et au Stabat Mater, sa dernière œuvre. La qualité exceptionnelle de cet ultime témoignage laissait attendre avec envie la résurrection d'autres compositions. D'où notre enthousiasme à la réception de cet Adriano in Siria, achevé quelque 2 ans avant le décès de son auteur, qui s'inscrit donc dans les œuvres de "maturité" de Pergolèse, terme improbable, on le concède, pour un compositeur dont la vie ne dépassa pas 26 ans.Malgré un sujet très convenu dû au poète et librettiste d'opéra Métastase, on peut sans abuser parler de révélation à propos de cet opéra. En effet, tout l'intérêt de cet Adriano in Siria réside dans la musique. Le génie de Pergolèse y explose et notre attention est captivée pendant les trois actes de ce drame qui, contre toute attente, se termine bien. L'Acte I contient sans conteste les meilleurs airs, les plus contrastés, quand l'Acte II est davantage voué aux morceaux de bravoure, et l'Acte III propose une synthèse bienvenue.
Du côté de la fosse, le chef Ottavio Dantone fait briller de mille feux son Accademia Bizantina, formation baroque idoine dans ce répertoire. Les contrastes sont énergiques, le grain des instruments légèrement acide, et l'investissement toujours absolu.
La mise en scène limpide d'Ignacio Garcia seconde efficacement les chanteurs malgré la persistance d'un fond noir qui rappelle le drame permanent et met en valeur la scène tout en parvenant à concentrer notre attention sur le chant. Les costumes, quant à eux, rappellent vaguement le IIe siècle après J.-C.La jeunesse de la distribution représente en fait l'atout majeur de cet Adriano in Siria, et tous les chanteurs s'engagent très professionnellement dans cette longue aventure vocale peu connue, voire inconnue, du public…
La mezzo-soprano Marina Comparato est travestie en Adriano, Empereur de Rome. Très à l'aise, elle assure un soutien permanent à son timbre, aussi bien coloré dans les aigus que dans les graves.
Lucia Cirillo, avec un timbre semblable, se montre plus en retenue. Cependant, son rôle de prisonnière enchaînée pendant un long moment qui la contraint à des déplacements restreints ne l'empêche aucunement d'exprimer des sentiments et d’interpréter Emirena de façon très probante.
Dans le rôle, également travesti, du Prince parthe Farnaspe la soprano Annamaria dell'Oste se montre tout à fait remarquable : sa ligne de chant émeut à chaque intervention tant la constance de l'émission privée de vibrato, tenue et cuivrée, douée d'aigus parfaits et de graves sonores, s'avère en place. Accompagné sur scène par une remarquable hautboïste, son air de l'Acte I peut être considéré comme le "clou" de l'opéra car le génie mélodique de Pergolèse en fait une aria inoubliable.
Nicole Heaston, soprano généreuse, est très investie dans la théâtralité de sa Sabina et ce rôle difficile de femme d'Empereur bafouée sonne tout à fait juste. Là encore, la ligne de chant est parfaite, le souffle et le son restent constants, et le timbre est ni plus ni moins parfait.
Osroa, le seul rôle masculin de la distribution est tenu par le ténor Stefano Ferrari. La voix est belle mais assez mate, un peu plafonnante, et l'on peut en percevoir certaines limites.
On trouvera l'expression vocale de la soprano Francesca Lombardi agréable mais moins intéressante car un peu passe-partout. Mais reconnaissons que l'écriture de Pergolèse ne la met pas réellement en valeur.
Cette production d'Adriano in Siria montée dans le petit théâtre de Jesi présente en outre un aspect particulier…
Aux premiers temps de l'opéra baroque, l'habitude avait été prise d'insérer, entre les Actes d'opéras seria fort longs, ce que l'on appelait des "Intermezzi". Il s'agissait de farces relativement courtes, écrites pour de petites formations et faisant parfois intervenir d'autres instruments que ceux de l'orchestre. Ces Intermezzi étaient destinés à divertir la salle pendant les changements de décors. Au fil du temps, ces saynètes à l'humour populaire épais ont été sorties de leur contexte original pour devenir des opéras bouffe à part entière. Tel sera le cas de La Serva padrona de Pergolèse, et de son Livietta e Tracollo, inséré ici dans son contexte d'origine et joué en deux parties, comme lors de la création en 1734.
Pour ce faire, la scène du petit théâtre de Jesi a été dotée d'un proscenium sur lequel évoluent les deux chanteurs Monica Bacelli (Livietta) et Carlo Lepore (Tracollo). Déguisements, quiproquos, interaction avec le public et fin heureuse détonnent bien entendu dans le contexte "seria" d'Adrien en Syrie. D'autant que la musique de cet Intermezzo, uniquement servie par un clavecin et des cordes, n'est pas du même niveau. On pourra de fait trouver le temps long, mais l'expérience est en soi intéressante et courageuse. Le public semble visiblement apprécier…
L'intégralité de l’œuvre vocale de Pergolèse devrait être programmée dans les années à venir par le Teatro G.B. Pergolesi de Jesi. Si l'interprétation parvient à maintenir le niveau de cet Adriano in Siria, les mélomanes amateurs d'opéra baroque ne pourront qu'être ravis.
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Nicolas Mesnier-Nature